Mieux penser l'éclairage des villes

J’ai vu deux visages de Morelia, la capitale du Michoacán au Mexique, escale obligée pour ceux qui veulent visiter le sanctuaire de papillons monarques dans les montagnes environnantes. La ville de jour, assez riche en architecture et en histoire pour avoir été inscrite à liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Puis la ville de nuit, où un « plan lumière » révèle ce qui est caché par la lumière naturelle, soit que le mortier des bâtiments anciens n’est ni gris ni beige, comme partout ailleurs, mais rose.

La lumière fait non seulement partie intégrante de l’ambiance d’un lieu, mais également de son design. Il faut entendre l’architecte Frank Gehry se désoler que le Walt Disney Concert Hall, l’une des plus belles salles de concert symphonique du monde, ait été construit en acier inoxydable plutôt qu’en pierre comme le voulaient ses plans originaux, pour le comprendre.

Oui, l’ensemble est un chef-d’œuvre d’architecture, mais lorsque les milliers de spectateurs s’y rendent le soir, c’est la froideur d’un acier impossible à éclairer avec chaleur qui les accueille.

PRIVILÉGIER L’ENSEMBLE

Souvent, ce qui crée la magie, c’est cependant davantage la mise en lumière d’un ensemble plutôt que d’un seul immeuble, aussi spectaculaire soit-il. On met ainsi en scène un tout en y faisant ressortir les éléments de cohérence. Des bâtiments érigés à différentes époques, et pour différents usages, semblent alors en pleine conversation.

Inspirés de la ville de Lyon, en France, qui a développé à la fin des années 80 un plan de « scénographie nocturne », les plans lumière du Vieux-Montréal et du Vieux-Québec sont deux exemples d’initiatives particulièrement réussies.

Plus récemment, l’éclairage du pont Jacques-Cartier, qui aura finalement été le principal legs des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, est un autre projet réussi. Additionné à l’illumination de la Biosphère de Buckminster Fuller, l’ensemble s’est non seulement imposé comme l’une des deux belles entrées de ville de la métropole, mais aussi comme une vitrine pour notre savoir-faire dans l’industrie de la lumière, une industrie qui n’existait pratiquement pas il y a deux décennies et qu’on a contribué à développer.

Mon projet récent favori est cependant bien moins sophistiqué. Il s’agit du déploiement d’une guirlande lumineuse tout au long du boulevard Saint-Laurent, à la hauteur du Plateau. Érigée par l’association des commerçants, la banderole d’ampoules crée un effet de dôme et donne une ambiance intimiste, pratiquement celle des ruelles si caractéristiques d’ici, à cette artère qui semble depuis peu à peu renaître.

PENSER LA LUMIÈRE

Alors que la Ville de Montréal s’apprête (enfin) à lancer les travaux de son prochain plan d’urbanisme, il serait intéressant d’inclure la notion de lumière qui, après tout, définit comment la cité se présente la nuit.

On pourrait par exemple réfléchir au centre-ville, dont l’éclairage à la pièce, c’est-à-dire gratte-ciel par gratte-ciel, ne met pas en valeur sa ligne d’horizon. Cette ligne, qui aspire à être en équilibre avec la courbe naturelle du mont Royal, mériterait d’être révélée dans toute sa splendeur par un plan lumière conséquent.

Mais au-delà du centre-ville, on pourrait vouloir mettre en lumière les bâtiments qui définissent les différents quartiers. Bien que mon quartier, le Mile End, soit davantage associé à l’importance des communautés juive et grecque, c’est par exemple l’église d’origine irlandaise Saint-Michel-Archange et son immense dôme byzantin qui en constitue le repère visuel le plus frappant. Mettons-le en lumière.

Et mettons en lumière tous les autres bâtiments significatifs de nos quartiers. Pour en dresser la liste, la Ville pourrait carrément ouvrir une consultation publique sur ce sujet, puis même permettre aux citoyens et entreprises des quatre coins de l’île de participer au financement de ce vaste chantier, pour ainsi en accélérer la réalisation.

Alors que les nuits s’allongent et qu’on cherche désespérément des repères d’espoir, la mise en lumière du cadre bâti pourrait être une réponse poétique, certes, mais tout de même une réponse à cet appétit.

Ce texte a été publié dans La Presse+