L'échec de Téo Taxi

UN ÉCHEC PEUT MENER LOIN

On l’oublie aujourd’hui, mais il y a cinq ans à peine, Montréal était en pleine traversée du désert.

Déjà affaiblie par trois décennies de marginalisation progressive face à Toronto, la région métropolitaine a dû traverser le pénible épisode de fusion-défusion, puis de collusion-corruption. Des maires démissionnaient en masse. Le centre-ville était bloqué par le printemps érable. Il ne manquait que les cavaliers de l’apocalypse…

Scandalisés par l’état des choses, les dirigeants de la BMO et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain se sont alliés pour créer un événement-choc : Je vois Mtl, dont on m’a confié l’architecture. Dans sa première mouture, l’événement devait attirer Michael Bloomberg et Bertrand Delanoë, qui venaient de libérer leur siège de maire de New York et de Paris. Ils échangeraient sur l’avenir des villes, ce qui inspirerait forcément tout un chacun.

Mais alors que dans le cadre de la phase d’élaboration du projet, je rencontrais frénétiquement des citoyens exceptionnels qui font progresser, à leur manière, la métropole, l’idée forte de Je vois Mtl s’est imposée : ce n’est pas ailleurs que nous trouverions l’inspiration, mais en nous-mêmes.

L’événement a donc été conçu comme une conférence sans conférence, sans invités internationaux, sans invités tout court. Tous les participants travailleraient : certains présenteraient un projet pour faire avancer la métropole, les autres les appuieraient dans leurs démarches.

Je vois Mtl se voulait un électrochoc pour nous sortir de la déprime collective, un signal fort que la société civile se levait pour l’avenir de la première ville francophone d’Amérique.

Entre le concept dessiné sur papier et le résultat, il y a eu un déclencheur : Téo Taxi.

De mai à juillet 2014, j’ai rencontré plus de 400 personnes pour bâtir une histoire de changement sur lequel s’appuierait l’événement. Bien qu’aucune de mes questions ne portait sur la mobilité, le commentaire qui revenait immanquablement était l’état lamentable du parc de taxis. Les vieux bazous conduits par trop de chauffeurs incompétents et impolis choquaient l’une des valeurs fondamentales des Montréalais : le sens de l’accueil et l’hospitalité.

J’avais ouï-dire qu’Alexandre Taillefer travaillait sur un projet de taxis. Des années auparavant, je l’avais rencontré alors qu’il présidait le conseil d’administration de l’Opéra de Montréal. J’étais à l’époque conseiller à la mairie. M. Taillefer avait monté un plan pour relancer l’Opéra, plan qui demandait la participation des trois ordres de gouvernement. Le plan était ambitieux, d’autant plus que le conseiller du ministre fédéral responsable de Montréal disait partout que la ville était trop petite et trop pauvre pour avoir un opéra. Le résultat : allez assister à une représentation aujourd’hui et vous serez à même de le constater. Le public est jeune. L’opéra est de nouveau « cool ».

Donc, je rencontre Alexandre Taillefer pour lui parler de Je vois Mtl, dont le plan ne tenait à l’époque que sur quelques pages d’un calepin. Une semaine plus tard, je lis dans les pages de ce journal (journal papier… le temps passe) une entrevue dans laquelle M. Taillefer annonce qu’il va dévoiler son projet de taxis électriques à l’événement Je vois Mtl. Il n’en fallait pas plus pour qu’on se dispute pour venir présenter un projet à l’événement qui allait se tenir à l’automne.

UN RATÉ CONSTRUCTIF

Téo Taxi est aujourd’hui un projet mort et enterré. C’est dommage. Un projet raté, mais qui aura néanmoins eu un impact considérable pour la relance de la métropole. Téo a accéléré la modernisation de l’ensemble du parc de taxis en ouvrant la voie à un design uniforme des voitures, puis au paiement par carte.

Téo a également contribué au débat sur le salaire à 15 $ et la protection des travailleurs autonomes, puis au débat sur l’iniquité fiscale et réglementaire face aux entreprises étrangères.

Enfin, Téo a été le déclencheur de Je vois Mtl.

Comme ex-conseiller de la première ministre Pauline Marois, je devrais me réjouir de l’échec subi par Alexandre Taillefer, lui qui a dirigé la campagne du parti qui m’a mis, en 2014, au chômage. Je ne me réjouis pas. Plus que jamais, la politique, tous partis confondus, doit attirer des gens de talent.

Comme contribuable, je devrais être outré par le gaspillage de l’argent public investi dans Téo. Je ne suis pas outré. Le gouvernement, les organismes publics et la Caisse ont comme impératif stratégique de soutenir l’innovation. Cela est risqué et la plupart du temps, les projets ne décollent pas ou s’écrasent. Mais pour quelques échecs, on créera un champion, et c’est ce qui ouvrira la voie au Québec inc. de demain.

Comme utilisateur de tous les modes de transport, je devrais être indifférent au fait qu’une poignée de taxis sortent du circuit. Je suis au contraire très inquiet. La mobilité durable demandera des réformes en profondeur et viendra à grand prix. Notre hésitation à appuyer Téo, BIXI, puis les autos en libre partage (qui n’ont toujours pas accès au centre-ville), puis les solutions innovantes comme les SRB, les tramways ou les voies réservées me laisse songeur sur la suite des choses.

La disparition de Téo n’aura pas d’impact comme tel sur la mobilité, mais le déni collectif dans lequel nous sommes actuellement plongés retarde, de façon inquiétante, la transition dans laquelle nous devrons inévitablement nous lancer.

Ce texte a été publié dans La Presse+