La Biosphère de Buckminster Fuller

SAUVER LA BIOSPHÈRE

Quelque part au printemps (s’il finit par arriver !) aura lieu l’inauguration de « l’allée Calder ».

Ce projet, qui est l’aboutissement d’un processus de conception visant à renouer avec l’esprit d’Expo 67, l’une des expositions universelles les plus réussies de l’histoire, sera enfin prêt.

Sa réalisation s’est peut-être faite dans la douleur, l’équipe originale de designers ayant dû céder sa place à la suite d’un rapport obtus de l’inspecteur général, il n’en demeure pas moins que le résultat promet d’être intéressant. L’allée reliera le pont du Cosmos aux Trois disques, deuxième stabile pour les dimensions du sculpteur américain Alexander Calder, et offrira de surcroît une vue imprenable sur le centre-ville.

Un projet majeur et une inauguration spectaculaire qui aura cependant cela de particulier qu’une affiche « À louer » pourrait être accrochée sur la Biosphère, structure conçue par Richard Buckminster Fuller pour y accueillir le pavillon américain.

Ce dôme, le plus grand du genre dans le monde, figure parmi les quelques pièces d’architecture exceptionnelles de la métropole, aux côtés d’Habitat 67 et du Parc olympique, trois ensembles qui datent d’une époque révolue où le Québec ambitionnait de contribuer à l’avancée de l’architecture internationale.

Propriété de la Ville de Montréal depuis 1968, l’ouvrage a été transformé en musée de l’environnement dans le courant du Sommet de la terre à Rio de Janeiro en 1992.

MANQUE DE SOUTIEN DU FÉDÉRAL

Plutôt méconnu du grand public, ce musée (de l’eau, puis de l’environnement, puis des changements climatiques) est un projet qui n’a jamais pu atteindre son plein potentiel, faute de soutien affirmé de son principal promoteur, le gouvernement du Canada.

Ce demi-succès, voire cet échec si la pancarte « À louer » finit effectivement par orner l’immeuble, traduit, pour la métropole, deux maux profonds.

NOTRE PATRIMOINE

Le premier est notre relation trouble avec le patrimoine. La seule chose aussi déprimante qu’écouter un biologiste nous faire état de la dégradation irréversible des écosystèmes naturels à l’échelle du globe est d’entendre les experts du patrimoine nous dire comment nous réussissons à faire disparaître, année après année, une part du maigre héritage transmis par les générations qui nous ont précédés.

Le feu, l’eau ou carrément les bulldozers, comme on l’a vu en novembre à Chambly avec l’anéantissement de la maison Boileau, nettoient le territoire des traces matérielles de notre passé, le plus souvent pour faire place à des projets insignifiants.

Le cœur du problème n’est cependant pas la protection des vieilles pierres, mais plutôt la difficulté que nous avons à requalifier ces vestiges. Trouver une fonction contemporaine pertinente et compatible avec la fonction d’origine s’avère souvent un défi insurmontable, comme si la relation avec notre histoire et notre culture était trouble et que notre exceptionnelle créativité ne pouvait avoir qu’une posture prospective. Aussi, la disparition du patrimoine n’est que la conséquence de son obsolescence.

LE CANADA ET MONTRÉAL

Le second mal est le manque d’amour du gouvernement du Canada pour la métropole du Québec ces dernières années. Stephen Harper, qui avait peu d’atomes crochus avec Montréal et ne nous a visités qu’à de très rares occasions, n’a pas réussi à désigner un véritable champion de la métropole francophone au sein de sa députation.

Aussi, malgré l’affection manifeste de Justin Trudeau et de sa ministre Mélanie Joly pour Montréal, on ne semble pas avoir réussi à renouer avec l’époque où le gouvernement fédéral était l’un des moteurs de développement de la ville.

Par exemple, on peine à comprendre la stratégie autour du redéploiement du Vieux-Port, qui ressemble depuis deux décennies davantage à un territoire où s’accumulent des projets de foire plutôt qu’au berceau de la première métropole francophone d’Amérique du Nord.

La Biosphère permet d’attaquer de front ces deux maux. Un musée de l’environnement est conforme à l’esprit original du bâtiment, conçu comme un emblème de la conscience environnementale.

Surtout, parce qu’il s’agit du seul musée en Amérique du Nord consacré à cette thématique fondamentale pour notre époque, ce projet est nécessaire.

Pour s’assurer que le concept prendra son plein envol et que la Biosphère occupera la place qui lui revient dans le Grand Montréal, le musée pourrait recevoir le statut de musée national du Canada. Rappelons-le : deux musées nationaux ont été aménagés à l’extérieur de la capitale, soit au Quai 21 à Halifax (Musée canadien de l’immigration) et à Winnipeg (Musée canadien pour les droits de la personne).

Accorder ce statut à la Biosphère permettrait non seulement de sauver ce chef-d’œuvre architectural, mais aussi de le rendre plus pertinent que jamais.

Ce texte a été publié dans La Presse+