Je sauve Mtl
Ces derniers mois, Montréal a envoyé le signal fort qu’elle avait enfin rompu avec son mauvais sort de ville en régression.
Sa marginalisation progressive, qui a débuté à la fin des années 70, était particulièrement visible ces 15 dernières années alors que les statistiques montraient que la métropole du Québec tirait systématiquement de l’arrière, sur le plan économique, par rapport à Calgary, Edmonton, Ottawa, Toronto et Vancouver, et même par rapport à la majorité des grandes villes d’Amérique du Nord.
Mais en 2019, le taux de chômage des 15 ans et plus était de 5,7 % dans le Grand Montréal, contre 6 % pour le Grand Toronto. Rarement, dans les trois dernières décennies, a-t-on pu observer un tel jeu des comparaisons à notre avantage.
Ce retournement de situation est le fruit de nombreuses initiatives publiques et privées, lancées à partir des années 90, pour donner un nouvel élan à la métropole.
On pense par exemple aux investissements dans des projets urbains comme la Cité du multimédia, le Quartier international et le Quartier des spectacles, dans des infrastructures de savoir comme les deux hôpitaux universitaires, la Grande Bibliothèque et le Campus des sciences de l’Université de Montréal, puis dans les infrastructures comme le pont Samuel-De Champlain, l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau et le REM.
Ces investissements ont donné des fruits au-delà de toute espérance, par exemple le succès-surprise de l’intelligence artificielle, que personne ne voyait venir il y a quelques années à peine, et qui a attiré au Québec des géants comme Microsoft, Facebook et Samsung. Succès qui confirme par ailleurs que Montréal a réussi son virage vers l’économie du savoir, étant dominante dans d’autres secteurs de pointe comme les jeux vidéo ou l’industrie aérospatiale.
Aujourd’hui, et il faudra éventuellement en comprendre les causes pour en tirer les leçons, le Grand Montréal est devenu le principal foyer de la crise sanitaire au pays. On y compte 45 % des cas de la COVID-19 recensés au Canada et 58 % des décès. Aussi, y a-t-il lieu de se demander si ce choc mettra fin, abruptement, à la relance dans laquelle on venait tout juste de s’engager.
Car si Montréal avait enfin retrouvé son erre d’aller, plusieurs faiblesses structurelles demandent toujours action.
En premier lieu, le Grand Montréal, malgré quelques progrès, se trouve toujours dans le dernier tiers des grandes régions métropolitaines d’Amérique du Nord pour le niveau de diplomation universitaire de sa population, et dans le premier tiers pour la proportion des adultes sans aucun diplôme. Et bien que les 11 universités du territoire accueillent chaque année une proportion importante d’étudiants « de première génération », c’est-à-dire dont les parents n’ont pas fait, eux-mêmes, d’études supérieures, notre incapacité à diminuer significativement les taux de décrochage au secondaire a freiné les progrès en ce domaine.
Au défi de l’éducation de la population native s’ajoutent les difficultés à intégrer les personnes immigrantes au marché du travail. Ces citoyens, qui sont généralement plus scolarisés que les « de souche », ont pourtant été massivement laissés à l’écart de l’économie. Alors que le taux de chômage des « natifs » était en moyenne de 3,8 % en 2019, celui des « nouveaux arrivants », soit les personnes établies au pays depuis moins de cinq ans, était de 11,9 %. Un écart de huit points de pourcentage, soit le double de celui qu’on retrouve à Toronto, Vancouver ou dans la majorité des autres villes du continent.
Sur un autre plan, soit celui de la gouvernance, Montréal ne s’est toujours pas remise des multiples réformes qui l’ont faite et défaite. Selon plusieurs observateurs, le projet « une île, une ville » s’est étrangement muté en « une ville, 19 îles ». Aussi, la dispersion du pouvoir parmi une armée d’élus et la dispersion de l’expertise dans des structures complexes, décentralisées et inefficaces, fait en sorte que la métropole en est réduite à faire de petites choses.
Vive les placotoires, saillies de trottoirs et livraison de marchandises à vélo, mais ces petites victoires n’arrivent pas à compenser la lenteur ou carrément la paralysie de projets structurants comme la modernisation du système de transports collectifs, la relance de l’Est de Montréal ou la requalification réussie des principales artères commerciales. Les innombrables travaux publics, exécutés sans coordination et sans ambition pour la qualité des ouvrages, sont simplement au-delà des capacités de gestion de la Ville.
Finalement, alors que ces réformes de la gouvernance visaient une plus grande équité fiscale sur le territoire du Grand Montréal, force est de constater que le niveau de collaboration régionale a rarement été aussi faible. Les politiques stratégiques, par exemple les grands projets de transport ou les plans de logements abordables, sont élaborés en silo, malgré leur nature éminemment métropolitaine.
La crise de la COVID-19 n’annonce rien de bon sur aucun de ces fronts. La fin abrupte de l’année scolaire, le 16 mars dernier, aura possiblement un impact délétère sur la persévérance scolaire. Les personnes immigrantes paieront probablement un prix économique supérieur et seront les dernières à réintégrer le marché de l’emploi. La Ville de Montréal sera assurément affaiblie par les pertes de revenu que sa structure fiscale ne lui permet pas d’absorber. Finalement, plusieurs villes du Grand Montréal voudront tirer profit de la peur collective de la densité sociale pour accélérer l’étalement urbain.
La relance de la métropole, à sa face même, est en danger. Mais cela n’est pas une fatalité. Un avion qui décroche peut, si les pilotes sont habiles, ne pas s’écraser. Cela demande toutefois des actions fortes et rapides.
D’une part, le gouvernement du Québec devra mobiliser l’ensemble de son appareil, à brève échéance, pour la relance spécifique de la métropole, et tout particulièrement son centre-ville où, rappelons-le, 10 % du PIB de tout le Québec est généré. Il faut à tout prix conserver ce qui fait du centre-ville la locomotive de la région métropolitaine, cela, en protégeant la diversité et la complémentarité de ses fonctions qui vont des bureaux d’affaires aux lieux de culture, sans oublier le commerce de détail et l’habitation.
D’autre part, la société civile qui, historiquement, a contribué et rendue possible des projets comme le parc du Mont-Royal, les universités de Montréal et McGill, l’hôpital Royal Victoria, l’oratoire Saint-Joseph ou l’Orchestre symphonique de Montréal, doit de nouveau se lever pour appuyer la relance. En 2014, l’appel avait été entendu pour l’initiative « je vois mtl ». Aujourd’hui, il faut passer à « Sauvons Montréal ».
Ce texte a été publié dans La Presse+