Quand Montréal fera son lit le matin

J’ai habité pendant plusieurs mois à Morelia, la capitale du Michoacán au Mexique, pour des recherches sur le papillon monarque. Et si, le matin, je marchais dans la rue plutôt que sur le trottoir, ce n’était pas pour respecter la distanciation physique comme on doit le faire aujourd’hui, mais plutôt parce que résidants et commerçants récuraient quotidiennement, à la brosse et à l’eau savonneuse, la portion du trottoir devant chez eux.

Quel contraste avec Montréal ! Pour l’anecdote, alors que je nettoyais la ruelle derrière chez nous avant de peindre des cercles et des lignes pour que les enfants y jouent, un passant a pris la peine de s’arrêter pour me dire que je faisais « le job de la Ville ». Et parce que, justement, la Ville ne fait pas « le job » adéquatement, le résultat est que l’état de malpropreté généralisée rappelle les belles années du maire Pierre Bourque. 

Car au grand « ménage du printemps » qui n’est toujours pas terminé, aux sacs d’ordures et gros objets qui jonchent les ruelles, aux poubelles qui débordent et aux contenants des take-out abandonnés sur le trottoir, viennent s’ajouter quantité de gants et masques de protection simplement jetés en pleine rue par leur utilisateur. Ça fait dur.

L’exemple le plus délirant de ce je-m’en-foutisme est le fait qu’au printemps, on dépose les plateformes BIXI sur la chaussée sans prendre la peine de donner un coup de balai au préalable. Le résultat est que les lourdes plateformes de ce qui est devenu l’un des symboles du Montréal moderne emprisonnent les détritus laissés par l’hiver. Serait-ce un si gros effort de coordination que de prévoir qu’un camion-balai nettoie les intersections visées, en amont de l’opération ? 

Aussi, ne serait-il pas temps que quelqu’un remarque que tous les dimanches d’été… depuis 1978, le parc du Mont-Royal et le parc Jeanne-Mance sont envahis par les amateurs de tam-tam et qu’en conséquence, il serait avisé de vider les poubelles avant et après le rassemblement ?

TROIS PHÉNOMÈNES

L’état de malpropreté de Montréal est le résultat de trois phénomènes.

Le premier est la difficulté de la Ville d’assurer « le jeu de base ». Il y a des années, un bénévole impliqué dans l’organisation d’activités sportives s’était présenté au conseil d’arrondissement de Ville-Marie pour se plaindre, en substance, que les arrondissements essaient de prendre la place de la Ville, que la Ville essaie de prendre celle du gouvernement du Québec, et le gouvernement du Québec veut jouer le rôle du gouvernement du Canada. Il avait conclu, désespéré : « Avec un tel agencement, pouvez-vous me dire qui va s’occuper de mes maudits terrains de soccer ! ? » 

Cette intervention était pleine de bon sens. Vivement que la Ville contribue à la modernisation de la langue française ou à la protection de la biodiversité dans le monde, mais cela ne la soustrait pas à l’obligation qu’elle a de remplir adéquatement ses responsabilités fondamentales d’entretien du domaine public. 

Le second phénomène est la posture de négligence généralisée que nous avons face à Montréal.

Que les résidants, propriétaires comme locataires, et que les commerçants ne lèvent pas le petit doigt pour entretenir les quelques mètres de terrain devant et derrière chez eux dépasse l’entendement.

Cela, surtout lorsqu’on connaît notre propension à nous rassembler par centaines de milliers pour crier notre amour de l’environnement et condamner les Albertains et autres pollueurs de la planète. Charité bien ordonnée commence par soi-même, dit-on… 

Le troisième phénomène est la difficulté que nous avons à revoir notre façon de faire les choses, comme si Montréal était condamnée à être un raboutage de vieilles pratiques patentées. Nettoyer Montréal demandera plus que des petits ajustements et des petits efforts. Il faudrait revoir l’organisation du travail des cols bleus, mais aussi, et surtout, repenser le système de fond en comble. Voudrait-on installer, dans les rues commerciales, des poubelles reliées à un aspirateur en sous-sol ? Ou voudrait-on interdire les contenants non réutilisables dans les restaurants ? Ou voudrait-on carrément éliminer les poubelles de rue, comme au Japon ? De telles réformes semblent dépasser notre capacité collective à les intégrer et les absorber. 

On dit que l’un des signes de la guérison des personnes atteintes de dépression est le fait qu’elles recommencent à faire leur lit, le matin. Je n’ai jamais su si cette histoire était corroborée par le corps médical, mais je sais que comme consultant, l’une des premières stratégies à mettre en place lorsqu’on lance des projets de transformation chez un client est de faire le grand ménage de ses installations. Aussi me semble-t-il que faire le grand ménage de Montréal, en ces temps troubles, serait plus qu’avisé.

Ce texte a été publié dans La Presse+