L'engagement civique
ENGAGEONS-NOUS !
Année après année, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, annonce à ses « fans » ses résolutions du Nouvel An.
Zuckerberg n’a pas seulement mis au monde ce qui est aujourd’hui la mère des médias sociaux : il a également réinventé les engagements envers soi-même prononcés le 1er janvier. Plutôt que de promettre d’être « plus gentil », « plus généreux », ou encore de « mieux manger », le jeune homme, devenu l’icône de l’entrepreneur d’aujourd’hui, promet d’agir pour changer des aspects précis de sa routine de vie. Il s’est par exemple engagé à « rencontrer une nouvelle personne chaque jour, à l’extérieur de l’entreprise » (2013) ou à « lire un nouveau livre toutes les deux semaines » (2015).
Mark Zuckerberg est riche. Sa fortune personnelle, évaluée à 56 milliards de dollars américains, lui permet (certainement plus facilement qu’à moi !) de libérer son agenda pour réaliser ses résolutions prises à la face du monde et commentées dans les médias internationaux. Malgré cela, sa détermination à maintenir le cap force le respect.
J’ai moi-même décidé de suivre les traces de Mark Zuckerberg et de m’engager à faire une action précise tout au cours de 2017. Cette action, ce serait de rédiger, chaque mois, un texte d’opinion.
Quand je regarde le monde autour de moi, je combats une constante envie de tomber dans le cynisme, cela, d’autant plus que j’ai un talent naturel pour brosser des portraits sombres. Lorsqu’on me cherche sur Google, l’une des premières pages qui apparaît est un texte dans lequel je décris, en 2009, le déclin de Montréal : « un texte douloureux de lucidité » comme le commentait Patrick Lagacé le lendemain.
Les résolutions demandent un minimum d’effort : j’ai donc décidé de sortir de ma zone de confort et d’écrire des textes d’opinion positifs, qui mettraient en perspective des questions d’intérêt général et des solutions envisageables. Inspiré de la solution journalism, j’ai écrit sur l’innovation dans les grands travaux d’infrastructures, l’internationalisation du Québec et de Montréal, l’avenir de la culture dans l’ère numérique, ou la finance sociale.
Au-delà du plaisir qu’il y a à s’arrêter pour prendre le temps de réfléchir à une problématique et de résumer sa pensée en moins de 700 mots, écrire ces textes m’a permis d’engager une conversation avec des inconnus qui me contactent pour débattre de certaines questions soulevées dans mes textes.
Plus encore, et c’est là le pouvoir insidieux de modifier sa routine comme le propose Zuckerberg, écrire un texte par mois m’a peu à peu changé. Étant constamment à la recherche de mon prochain sujet, j’ai commencé à prêter attention à des choses jusque-là invisibles à mes yeux et à déconstruire la vaste danse qui régit notre société. Même pour les sujets les plus triviaux, j’ai commencé à dessiner dans mon imagination comment on pourrait faire les choses autrement, mieux saisir les opportunités, faire de Montréal une ville phare du XXIe siècle.
Alors que je signe ce neuvième article, tous publiés dans ces pages, l’engrenage de ma résolution a failli m’amener plus loin : d’observateur, j’ai senti l’appel pour moi-même devenir un acteur de l’action que j’appelle dans mes textes. J’ai réfléchi sérieusement à me présenter comme conseiller municipal.
Après mûre réflexion, ça sera pour une prochaine fois.
Ce n’était pas le bon moment : je suis engagé dans des projets complexes et fascinants avec mes clients. Je ne pouvais pas les laisser tomber à si courte échéance.
Mais aussi, j’ai eu peur. Peur d’être emporté dans un tourbillon et de ne plus voir mes proches, peur de perdre et de vivre avec les conséquences morales d’une défaite, peur de recevoir des attaques vicieuses qui m’humilieraient devant ma famille et mes amis, la politique étant devenue sale à l’ère de la série House of Cards, peur d’être devenu fou, le salaire d’élu étant bien inférieur à ce que je gagne comme consultant.
Mais aussi, peur de gagner. J’ai souvent conseillé des élus, députés, maires et même premiers ministres. Conseiller autrui demande des analyses fines, mais, ultimement, l’ombre dans lequel œuvre un conseiller est une zone de sécurité et de confort. Maintenant que ce serait ma tête qui serait sur les affiches, et que ce serait ma main qui se lèverait pour voter pour ou contre telle résolution, ce serait moi qui serais sur la ligne de feu, moi qui devrais répondre à jamais de mes bons coups, mais aussi des mauvais.
Maintenant que les élections municipales sont déclenchées, je salue mes amis et les inconnus qui ont eu le courage de s’engager, tout parti confondu. Qu’ils perdent ou qu’ils gagnent, leur engament pour nos villes force le respect. Félicitations !
Ce texte a été publié dans La Presse+