3 chantiers pour la métropole

MES TROIS CRAINTES POUR MONTRÉAL

S’il y a toutes les raisons de célébrer notre succès collectif d’aujourd’hui, c’est pourtant notre positionnement dans l’avenir qui devrait nourrir nos réflexions et actions.

L’art de la chasse aux canards, en ce qui me concerne, se résume à apprendre à tenir le fusil de telle sorte que la balle parte où le regard se porte, les bras devenant en quelque sorte l’extension des yeux.

Mais ce n’est pas tout : à 40 mètres de distance, un canard sera 10 pieds devant lorsque le bouquet de plombs atteindra son altitude. Un bon chasseur n’est donc pas celui qui vise le canard où il se trouve, mais bien où il se trouvera au moment de l’impact.

Revenant bredouille de ma battue près de Rivière-du-Loup, c’est la pensée qui m’animait alors que je rentrais à Montréal. Lorsque je regarde la métropole et sa spectaculaire entrée du pont Jacques-Cartier maintenant illuminé, j’ai peine à me rappeler dans quel bourbier nous nous trouvions il y a peu. S’il y a toutes les raisons de célébrer notre succès collectif d’aujourd’hui, c’est pourtant notre positionnement dans l’avenir qui devrait nourrir nos réflexions et actions.

Au crépuscule du glorieux 375e anniversaire de la ville, trois choses me font parfois craindre que nous pourrions manquer la cible, demain.

La première sont les infrastructures. Après des décennies de laisser-aller, nous avons entrepris de rénover le Grand Montréal. Les chantiers amènent leur lot de désagrément, mais le chaos entourant cette grande opération inquiète.

Par exemple, début août, l’avenue du Parc, entre les rues Fairmont et Saint-Viateur, a été asphaltée. Trois semaines plus tard, un entrepreneur est venu refaire les bordures de trottoirs sur le même tronçon, travaux qui ont demandé qu’une tranche d’asphalte d’un mètre de large soit retirée de chaque côté de la chaussée. Alors que j’écris ces lignes, un gigantesque trou a été creusé en plein centre pour permettre à un autre entrepreneur de passer du câblage électrique d’un bord à l’autre de la rue. Tout cela, sur une artère qui a pourtant subi 28 mois de travaux il y a sept ans.

Selon la firme McKinsey, la construction est, avec l’agriculture, le secteur le moins avancé dans l’intégration des technologies en Occident, ce qui explique en partie le retard structurel dans les gains de productivité.

Mais au Québec, l’idée même d’intégrer les leçons de la réfection du boulevard Saint-Laurent, qui a dû être rouvert de long en large pour permettre les travaux de gaz naturel alors que le projet venait d’être terminé, semble mission impossible. En somme, il y a danger qu’on se dise, dans 10 ans : « tout ça pour ça ».

On pourra montrer du doigt les élus municipaux ou les fonctionnaires. Il n’empêche qu’il serait temps que le secteur de la construction se prenne en main et entende l’appel lancé par Pierre Pomerleau il y a deux ans à la tribune de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, qui plaidait pour une mobilisation des leaders du milieu pour établir de nouvelles normes d’éthiques et de qualité. Ça presse.

RÉUSSITE SCOLAIRE ET IDENTITÉ MONTRÉALAISE

Ma seconde source d’inquiétude porte sur la réussite scolaire. Malgré une décennie de mobilisation menée par le milieu, le progrès se mesure au compte-goutte. Dans le rapport Signes vitaux des enfants du Grand Montréal, publié récemment par la Fondation du Grand Montréal, on voit qu’encore aujourd’hui, 39 % des jeunes du secondaire ne décrochent pas leur diplôme en cinq ans. Ayoye.

Les efforts consacrés au dossier depuis une décennie portent leurs fruits puisqu’au total, 78 % des élèves seront diplômés en sept ans (plutôt que cinq). On entend cependant souvent que le véritable levier de ce succès sont les « méthodes alternatives » pour attribuer les diplômes. Que cela soit fondé ou non, Montréal pourra difficilement regarder l’avenir avec optimisme si nous continuons à abandonner des armées de jeunes, en particulier de jeunes garçons, avant la fin de leur parcours scolaire.

Ma troisième et dernière source d’inquiétude concerne la radicalisation autour de l’idée que Montréal est une société distincte du Québec, et que la métropole devrait aller jusqu’à s’affranchir de la province et de ses lois. Montréal est aussi différent des régions du Québec que les grandes villes le sont des villages et campagnes. Mais si Montréal est une ville qui tranche sur le continent, c’est parce qu’il est la métropole d’un territoire si particulier. Enlevez-lui cette épine dorsale et Montréal sera l’une des cinquante grandes villes d’Amérique du Nord, ni plus ni moins. Le dialogue entre la métropole et les régions doit être réinvesti.

J’ai trois inquiétudes, certes. Mais j’ai aussi une confiance en notre capacité à affronter les défis qui nous attendent… dans la mesure où nous nous y préparons adéquatement. Joyeux Noël à tous les lecteurs !

Ce texte a été publié dans La Presse+