La propreté et le stationnement de rue
PASSAGE DU BALAI MÉCANIQUE À MONTRÉAL
UN CALVAIRE DONT ON POURRAIT SE PASSER
Pour qu’un film western soit reconnu comme tel, un passage obligé est cette scène où les deux protagonistes se retrouvent face à face dans la rue principale d’un bled pour s’affronter à mort. Bien que le village semble déserté par ses habitants, il ne l’est pas. Derrière chaque rideau se cachent les citoyens qui épient le duel pour ensuite courir célébrer le bon qui, miraculeusement, gagne à tout coup.
Cette scène où toute la population est collée aux fenêtres, on la reproduit deux fois par semaine dans la majorité des quartiers de Montréal. L’objet de notre attention n’est cependant pas deux hommes armés de longs pistolets, mais bien l’attente qu’un espace de stationnement se libère advenant qu’un voisin parte au travail en voiture. À la seconde où un trou se forme, tous ceux qui n’ont pas besoin de véhicule le jour se précipitent pour déplacer leur automobile et libérer la voie où il est interdit de se stationner, une heure chaque semaine.
Ce rituel, qui rythme la vie des Montréalais d’avril à décembre, devient de plus en plus pénible. Alors que le nombre d’espaces disponibles demeure le même, sinon diminue légèrement pour laisser place aux saillies de trottoir, aux BIXI ou aux places réservées aux voitures électriques, le parc automobile ne cesse d’augmenter. Aussi, il y a non seulement davantage de voitures (5 % d’augmentation entre 2009 et 2014), mais elles sont de plus en plus grosses (33 % de plus de VUS pour la même période). Bref, plus de demande pour une offre diminuée.
Et pourquoi tout ce branle-bas de combat ? Pour céder le passage à un balai mécanique qui, chaque semaine, nettoie les bordures de rue.
Qu’adviendrait-il si l’interdiction de stationner sur les rues résidentielles était tout simplement éliminée. Montréal se transformerait-elle en un vaste dépotoir ?
Pour connaître la réponse, il suffit de visiter Québec. Certes, la taille et la densité de population de la Capitale nationale sont moindres que celles de la métropole. Mais ses quartiers centraux – Vieux-Québec, Montcalm et Limoilou – ont un bâti (duplex, triplex) et une population au kilomètre carré équivalente à celle de plusieurs quartiers centraux d’ici. Aussi, bien qu’il n’existe pas d’indice de propreté comme tel, on peut avancer, à l’œil, que Québec est plus propre que Montréal. Et cela, alors que les résidants n’ont pas à déplacer leur voiture deux fois la semaine.
Le plus surprenant avec ce nouveau « mystère Québec » est qu’il ne repose pas sur une stratégie particulière. Une discussion avec le superviseur des travaux publics de l’arrondissement de La Cité-Limoilou, qui couvre l’ensemble des quartiers centraux, pointe plutôt une série d’ajustements tirés tout droit du sens commun des horaires de service ajustés pour que les équipements roulants circulent à l’aube, avant le trafic, des équipes complémentaires à pied, balai à la main, un produit ajouté à l’eau des camions-citernes pour éliminer l’odeur d’urine des chevaux.
En somme, serait-il possible qu’à Montréal, on demande à des milliers de citoyens de déplacer leur véhicule… pour rien ? La réponse est fort probablement oui. À preuve, lorsqu’en 2006 l’arrondissement de Ville-Marie a réduit le nombre de passages de camion-balai de moitié, demandant aux citoyens de déplacer leur automobile deux fois la semaine plutôt que quatre (lundi, mardi, jeudi et vendredi)… les rues sont devenues plus propres. Pourquoi ? Parce que cette décision a coïncidé avec l’introduction des sacs transparents de recyclage, l’ancien système de bacs faisant en sorte que le contenu partait au vent avant qu’il ne soit ramassé. Ainsi, la meilleure stratégie pour nettoyer les rues est d’éviter qu’on y répande des déchets, le passage de balayeuses étant largement inefficace.
Montréal est aujourd’hui une ville décentralisée. Ceci amène son lot d’inconvénients, mais aussi quelques avantages structurels importants. Le premier est que les arrondissements peuvent devenir autant de laboratoires où l’on arrête de faire les choses simplement « parce que cela se fait depuis toujours », et ainsi créer une véritable culture de l’innovation et de l’émulation entre les différents quartiers. Le second est que la gouvernance de proximité doit forcément pousser la Ville à devenir davantage empathique face à sa population. Le jour où, quelque part, quelqu’un décidera d’éliminer l’interdiction de se stationner deux fois par semaine pour proposer une solution de rechange au balai mécanique, on saura alors que Montréal commence enfin à profiter de sa nouvelle organisation.
Ce texte a été publié dans La Presse+