Gestion des chantiers urbains

CHANTIERS ROUTIERS

L’INTERNET DES OBJETS (ET LES CITOYENS) À LA RESCOUSSE

Fin janvier au matin, les automobilistes empruntant l’autoroute Bonaventure pour se rendre au centre-ville de Montréal se sont trouvés pris au piège dans un immense bouchon de circulation. Un entrepreneur qui devait faire des travaux sur un tronçon de l’autoroute en milieu de journée a pris la décision de prendre de l’avance et ainsi devancer l’installation de la signalisation du chantier, créant un goulot d’étranglement en pleine heure de pointe.

Alors que je finissais de préparer mes enfants pour l’école, je pouvais entendre Marc Brière, chroniqueur à la circulation à la populaire émission de radio Puisqu’il faut se lever, montrer du doigt l’entrepreneur fautif : « Tous ceux qui arriveront en retard aujourd’hui pourront remercier l’entreprise de construction qui vous bloque la route. » Le résultat ne s’est pas fait attendre : des policiers sont intervenus pour faire respecter les heures permises de chantier.

On a souvent entendu l’idée qu’il fallait former et déployer des brigades d’inspecteurs de chantiers qui, au-delà du travail normal de supervision des ouvrages, veilleraient au respect des règles générales entourant les chantiers, en commençant par l’horaire de travail. Tellement 1990 comme solution...

Deux idées beaucoup plus puissantes et possiblement meilleur marché s’offrent pourtant aux donneurs d’ouvrage publics.

La première est de mettre à profit les avancées dans « l’internet des objets ». En particulier, il serait possible et souhaitable d’équiper de capteurs les équipements roulants comme les camions et les épandeuses. Une rumeur bien implantée allègue que les entrepreneurs moins consciencieux couperaient les coins ronds, par exemple en réduisant la quantité de matériel (béton, asphalte, etc.) prévu dans les devis.

Rendre obligatoire l’installation de ces capteurs couperait toute possibilité de tricherie puisqu’ils permettent de contrôler la quantité exacte de matériaux utilisés.

En plus, et surtout, les capteurs permettraient de mieux mesurer la performance des équipes et du matériel, qu’il s’agisse de cols bleus ou d’entrepreneurs, et donc d’en améliorer la productivité. En somme, l’internet des objets permettrait aux donneurs d’ouvrage d’améliorer la qualité des ouvrages, leur exécution et leur coût, la numérisation d’un secteur étant généralement associée à des gains de productivité.

DE CITOYENS À INSPECTEURS

La seconde solution serait de canaliser le ras-le-bol des citoyens pour les transformer en inspecteurs de chantiers. Il suffirait d’indiquer clairement la nature des travaux en cours (ce qui, dans plusieurs villes, serait une révolution en soi), d’expliquer le phasage et d’afficher le calendrier de travail prévu pour que toute dérogation soit signalée. Huit citoyens sur dix étant aujourd’hui équipés d’un téléphone intelligent, la force de frappe d’une telle solution serait incroyable.

On pourrait également contrôler et optimiser d’autres dimensions importantes reliées aux chantiers, par exemple la qualité de l’affichage du chantier pour la circulation, la sécurité des passages piétons temporaires ou encore, la propreté générale du chantier, et ainsi être en mesure d’intervenir en temps réel et de corriger le tir.

À cet égard, ceux qui ont récemment visité l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau auront remarqué les bidules installés dans les toilettes pour permettre aux usagers de noter la propreté des lieux. L’extrême simplicité des réponses recueillies est compensée par le volume de réponses reçues. L’analyse des données ainsi recueillies permet non seulement de corriger la stratégie de déploiement des équipes de nettoyage, mais aussi de mieux former les employés qui, lorsque leur travail est évalué, se montrent moins performants que leurs pairs.

Fin janvier, les mots durs et répétés de Marc Brière ont permis de corriger en temps réel un problème simple, mais aux conséquences franchement désagréables pour ceux qui étaient pris dans le bouchon de circulation. La technologie permet aujourd’hui de décupler ce mécanisme, ce qui se montrerait beaucoup plus porteur que la mise sur pied de brigades d’inspecteurs... sortis tout droit des années 1990.

Ce texte a été publié dans La Presse+

Félix-Antoine Joli-Coeur