La modernisation de l'autoroute 20
LE PROCHAIN DÉFI DE LA CAISSE
Alors que nous voyons s’amorcer les travaux du REM, le réseau de métro léger de 67 kilomètres qui fera passer une partie du Grand Montréal au XXIe siècle en termes de transport collectif, il faut d’ores et déjà réfléchir aux prochaines initiatives de CDPQ Infra.
Rappelons-le, la Caisse de dépôt et placement du Québec a mis sur pied cette filiale en 2015 pour concevoir, réaliser et exploiter des projets majeurs d’infrastructures publiques. Le prochain pas naturel sera de reproduire le modèle du « train urbain » ailleurs, ce que la Caisse a d’ailleurs déclaré vouloir faire en s’associant, par exemple, à un projet similaire à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Mais au-delà du retour sur investissement que nous en tirerons, ne devrions-nous pas ambitionner d’utiliser cette filiale comme levier de développement pour notre propre économie, en mandatant la Caisse pour qu’elle développe d’autres types de projets stratégiques d’infrastructures, ici, au Québec ?
À mon sens, le projet tout désigné est la modernisation de l’autoroute 20, entre Québec et Montréal.
Cette route, qui relie la capitale nationale à la métropole, devrait être objet de fierté nationale.
Dans les faits, c’est tout le contraire : l’autoroute 20 est moche et inefficiente. Et plus le temps passe, pire c’est.
Inauguré le 27 novembre 1964, l’axe Québec-Montréal de l’autoroute 20 est un produit du gouvernement de Jean Lesage, dont elle porte d’ailleurs le nom. Quinze ans plus tôt, en 1948, le gouvernement fédéral de Louis Saint-Laurent avait annoncé son intention de bâtir la plus longue route nationale du monde, voulant ainsi relier l’Atlantique au Pacifique. Y voyant une intrusion dans les compétences provinciales, le premier ministre du Québec de l’époque, Maurice Duplessis, avait refusé net de participer au projet. C’est Jean Lesage et son ministre des Travaux publics, René Lévesque, qui firent bouger les choses. Le résultat : une autoroute belle et moderne qui, en plus de compléter l’axe Québec-Windsor, était appelée à devenir l’épine dorsale de Québec inc. et une manifestation concrète de « la belle province », devise qui sera inscrite sur les plaques d’immatriculation à partir de 1963.
Mais voilà, depuis, ça s’est gâté. Loin d’être une autoroute modèle, l’autoroute 20 ressemble de plus en plus à l’emblème d’une nation de ploucs.
ÉTALEMENT URBAIN
D’abord, il y a l’étalement urbain dans les agglomérations de Montréal et de Québec. S’il n’y a pas si longtemps encore, un automobiliste qui traversait le pont Jacques-Cartier ou le tunnel Louis-Hyppolite-La Fontaine avait la voie libre jusqu’au pont Pierre-Laporte, la croissance de Boucherville (dont la population a augmenté de 19 % depuis 20 ans), Saint-Basile-le-Grand (+ 42 %), Mont-Saint-Hilaire (+ 42 %) ou Lévis (+ 21 %) a transformé des sections entières de l’autoroute « interurbaine » en autoroute « intra-urbaine ». Ainsi, lorsqu’on sort de l’île, il n’est pas rare d’être pris dans des bouchons jusqu’à Saint-Hyacinthe, puis à partir de Laurier-Station, la 20 devant pallier l’absence de transports en commun efficaces dans les couronnes de Montréal et de Québec.
Ensuite, il y a l’explosion du nombre de camions sur la route. De 1999 à 2006, les déplacements interurbains de camions ont augmenté de 21,4 %. Depuis, bien que les statistiques n’aient pas été mises à jour, on peut penser que la tendance s’est poursuivie, le nombre de camions augmentant en moyenne de 4000 chaque année. Leur présence se fait d’autant plus sentir que depuis 2009, tout poids lourd qui circule sur notre territoire doit être équipé d’un limiteur de vitesse réglé à 105 km/h, faisant en sorte qu’un camion qui en dépasse un autre peut bloquer la voie de dépassement pendant de très longues minutes puisqu’il n’est pas en mesure « d’appuyer sur le champignon » pour compléter sa manœuvre.
Finalement, il y a l’esthétique de l’autoroute 20. D’une part, contrairement à ce que l’on voit de l’autre côté de la frontière américaine, nous avons autorisé l’installation de centaines de panneaux publicitaires en bordure de route. D’autre part, le plan de développement de la 20 ressemble davantage à celui d’un boulevard industriel qu’à celui d’une route nationale, faisant en sorte que quantité d’entreprises utilisent les terrains adjacents pour entreposer leurs marchandises ou aménager de gigantesques stationnements. Dans plusieurs sections, on se croirait au cœur du Michigan industriel.
Redresser la situation demande de la vision, de l’agilité et des capitaux.
La Caisse, parce qu’elle a développé une expertise unique par son implication dans des dizaines de projets d’infrastructures partout dans le monde, parce qu’elle n’est pas attachée à la règle du plus bas soumissionnaire qui oblige l’État à octroyer les contrats aux entrepreneurs les plus cheaps plutôt qu’aux meilleurs, et parce qu’elle est riche, est l’acteur tout désigné pour mener ce projet à bien.
Il s’agirait donc de concéder l’autoroute 20 pour 30 ans à CDPQ Infra contre la promesse d’en faire l’une des autoroutes les plus efficaces et les plus belles au monde. On pense à un nombre de voies de circulation qui permette un flux de circulation optimisé, l’utilisation des meilleurs matériaux, notamment pour la composition du bitume, un marquage au sol visible été comme hiver, des aires de service conviviales et un aménagement élégant aux abords des voies qui mette en valeur l’exceptionnelle beauté de la vallée du Saint-Laurent et de sa flore.
On pense également à une tarification raisonnable qui participe à la régulation du trafic, notamment des camions, par une modulation en fonction de l’heure de la journée. Finalement, on peut même imaginer l’aménagement d’un tunnel au niveau de Drummondville, ce qui contribuerait à l’essor de la 14e ville en importance au Québec, puis la mise sur pied d’un fonds qui permettrait de financer un lien rapide, train ou autre, entre la Capitale nationale et la métropole.
Ce texte a été publié dans La Presse+