Le centre-ville de la métropole
REDONNER SA FIERTÉ AU CENTRE-VILLE
Deux territoires urbains du Québec se distinguent dans le monde par leur unicité : le Vieux-Québec et le centre-ville de Montréal. Le premier, vestige des utopies de Samuel de Champlain et de la présence française en Amérique, fait l’objet de toutes nos attentions collectives depuis qu’il a été inscrit à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, en 1985. Le second, qui tranche avec les autres centres-villes du continent par son dynamisme, le mélange de ses fonctions et sa culture distincte, est historiquement négligé.
Le centre-ville de Montréal a pourtant fait l’objet de quelques projets de requalification urbaine ces trois dernières décennies – on pense en particulier à l’aménagement de la rue de la Commune et du Vieux-Port (1992), à la Cité du Multimédia (1998), au Quartier international (2004) et au Quartier des spectacles (2011). Mais globalement, lorsque l’on compare notre centre-ville à ceux d’autres métropoles, on prend conscience de notre retard, en particulier pour l’aménagement du domaine public et du niveau de service.
Prenons par exemple le boulevard René-Lévesque, où l’on retrouve les adresses d’affaires parmi les plus prestigieuses du pays qui accueillent banques, cabinets de services professionnels et grandes multinationales.
Le boulevard, dont l’éclairage est assuré par les mêmes lampadaires sans charme qu’on retrouve sur les autoroutes régionales et où la plantation d’arbres a tellement été négligée que les feuillus ressemblent davantage à des légumes oubliés au réfrigérateur qu’à des spécimens de la forêt laurentienne, s’articule dans le désordre.
Dans l’ouest, entre les rues Peel et Guy, le boulevard a une largeur de trois voies dans chaque direction ; la ville n’en a tracé que deux, ce qui ne manque jamais de créer un fouillis total pour le trafic, d’autant plus chaotique qu’on y permet le stationnement de rue.
Côté service, ce n’est pas mieux. La rue Sainte-Catherine est l’artère commerciale la plus dynamique du Canada. Pourtant, on y fait la collecte du recyclage sur l’heure du lunch plutôt que la nuit comme partout dans le monde. Ou encore, même si l’automne est avancé, le marquage au sol n’a toujours pas été complété. Finalement, les entraves aux trottoirs sont nombreuses, personne n’ayant jugé à propos d’adapter la réglementation au territoire fréquenté par plus d’un demi-million d’individus chaque jour, comme on le fait par exemple à Manhattan.
Le plus désespérant est que ça ne s’améliore pas, comme si un pas en avant devait être suivi d’un pas en arrière. Pourquoi, par exemple, ne pas s’être inspiré des succès de l’aménagement du Quartier international de Montréal et du Quartier des spectacles pour les chantiers de l’avenue du Président-Kennedy ou de la rue Peel, refaites de fond en comble… mais à l’identique ? Pourquoi ne pas avoir profité du réaménagement du square Dorchester et de la place du Canada pour leur redonner des dimensions propres à une ville du XXIe siècle plutôt celles d’une ville conçue pour accueillir les grosses minounes des années 60 ?
SOLUTIONS INADÉQUATES
Le problème est complexe et les solutions mises en place – faire maire de Montréal le maire de l’arrondissement de Ville-Marie ainsi que le Plan Centre-Ville de l’administration Coderre – ne sont pas suffisantes, et cela, pour deux raisons.
D’une part, la Ville est en situation d’arbitrage lorsque vient le temps d’investir au centre-ville, comme si le fait d’y injecter des ressources se faisait au détriment du « Montréal des quartiers ».
D’autre part, les enjeux propres au centre-ville dépassent de loin le cadre de Montréal et ont une portée au minimum métropolitaine, sinon nationale. Rappelons que ce territoire de 10 km2 est, pour l’ensemble du Québec, la locomotive économique (10 % du PIB y est généré), son moteur culturel (25 % des billets vendus dans la province le sont pour des spectacles présentés au Quartier des spectacles), son intégrateur social (la majorité des immigrants y débarquent), son principal générateur de savoir (McGill, Concordia, l’UQAM et l’ETS et leurs 100 000 étudiants) et, finalement, sa vitrine internationale.
POUR UNE COMMISSION DE LA MÉTROPOLE
Une piste intéressante pour donner au centre-ville de Montréal l’attention qu’il mérite serait la mise sur pied d’une « commission de la métropole nationale », dont la nature serait à cheval entre les deux commissions de la capitale existantes, soit celles d’Ottawa et de Québec, et la toute nouvelle Banque de l’infrastructure du Canada. Cette commission, qui rassemblerait des représentants des trois ordres de gouvernement et des leaders de la communauté, et qui travaillerait en complémentarité avec les structures existantes, à commencer par l’arrondissement de Ville-Marie, aurait comme mandat d’élaborer une vision audacieuse et moderne du centre-ville de Montréal, tant en termes d’aménagement que de niveau de service.
Cette commission aurait également comme mandat de faciliter et de stimuler les grands projets. On pense par exemple à l’accès au fleuve ou à la requalification des quartiers à qui on a donné une dénomination (quartier des musées, de la santé, de l’innovation, etc.) qui ne se traduit pas toujours par un aménagement conséquent, et à l’établissement de normes de services adéquates, par exemple le déneigement du territoire dans les 24 heures suivant une tempête.
Alors que les gouvernements lancent et financent partout des « laboratoires » pour favoriser les « échanges et les synergies », nous aurions tout intérêt à réinvestir le centre-ville de Montréal, territoire qui fait ses preuves en cette matière jour après jour.
Ce texte a été publié dans La Presse+