Comment naissent les projets
UN SUCCÈS NÉ D'UN LUNCH
La recette pour faire de grandes initiatives publiques est simple et connue : une institution publique (une ville, un ministère, etc.) élabore une vision dans un document de « politique publique ». Cette politique est déclinée dans un « plan d’action », assorti d’un cadre budgétaire. Suivent les appels d’offres pour réaliser les différentes composantes du plan d’action, les plus bas soumissionnaires étant ceux qui feront en sorte que la vision devienne réalité.
Un exemple de cette approche est BIXI. Le célèbre vélo en libre-service made in Montréal est probablement l’un des succès les plus éclatants du Plan de transport dévoilé en 2008 par la Ville de Montréal. L’un des 21 chantiers « pour réinventer Montréal en 10 ans » était de « favoriser l’utilisation du vélo comme moyen de transport utilitaire » : BIXI permettait à tout un chacun de se déplacer spontanément à deux roues.
Mais voilà… le BIXI n’est pas né du Plan de transport ni de la « recette » décrite ci-haut, mais plutôt d’un certain lunch dans le Vieux-Montréal.
Un collègue au cabinet du maire de Montréal m’avait fait part du désir d’implanter le Vélib’ à Montréal. Or, le vélo en libre-service de Paris et Lyon présentait deux obstacles insurmontables pour son implantation dans la métropole, du fait qu’il s’amarre à un système ancré à une dalle de béton et alimenté en électricité et en données par un raccordement sous-terrain. Le premier est que la base est difficilement démontable l’hiver, ce qui rend le déneigement problématique. Le second est que dans la ville où aménager une voie pour autobus à diesel sur Pie-IX est plus long que la construction de la pyramide de Khéops par les Égyptiens de l’Antiquité, l’aménagement des 540 stations permanentes aurait transformé le centre-ville en zone de guerre.
Qui pourrait donc repenser le système pour notre réalité ?
Étant à l’époque conseiller politique responsable des dossiers du centre-ville, j’avais pu apprécier l’ingéniosité et l’agilité d’une organisation partenaire : Stationnement de Montréal. L’entreprise, sous le contrôle de la Ville de Montréal, venait de repenser le système de parcomètre. Avec tous les outils technologiques d’aujourd’hui, être en mesure de payer son stationnement par carte de crédit paraît une évidence. À l’époque pré-iPhone, la solution était avant-gardiste. Forts de cette expérience réussie, nous avions lancé d’autres initiatives tout aussi astucieuses. Par exemple, l’implantation d’un système de jalonnement dynamique pour guider les automobilistes qui cherchent à se stationner dans le Vieux-Montréal, ou la transformation de 6000 panonceaux en autant de supports à vélo, grâce à l’intégration d’un anneau conçu par le designer Michel Dallaire.
Le lunch entre mes deux comparses a en quelque sorte pris la tournure d’une date. Le collègue du transport, qui cherchait une compagnie de vélo en mesure de développer un système qui n’existait nulle part ailleurs, est ressorti du repas en voulant confier le projet à une entreprise de stationnement, qui avait cependant développé une expertise en solutions de mobilité sans fil. Les bornes de BIXI fonctionneraient donc comme les bornes de Stationnement de Montréal, le tout monté sur une plaque amovible.
Le reste appartient à l’histoire : André Lavallée, du Comité exécutif, a mené le dossier avec une main de maître et aujourd’hui, BIXI est déployé dans quantité de villes dont New York, Chicago et Londres. Cela, grâce à un contrat de gré à gré entre la Ville de Montréal et une société en commandite dont la mission est de gérer le stationnement de rue, mariage opéré à partir d’un lunch où – âmes sensibles s’abstenir de lire ce qui suit – le représentant de Stationnement Montréal a pris la facture.
LA FORMULE E
C’est à cette histoire que je pensais alors que je parcourais les récents rapports de l’inspecteur général et du vérificateur général sur la Formule électrique. Personnellement, j’ai toujours eu en horreur ce projet et son opacité. La course automobile appartient à une autre époque : dans une ambiance super macho, des pilotes, qui ressemblent quant à moi davantage à des hamsters courant dans une boule qu’à des sportifs, y font la promotion de la conduite folle.
Mais cela, ce n’est que mon opinion. J’ai la modestie de voir qu’il y a un public pour ce spectacle, et que la Formule électrique, si nous avions été persévérants dans l’aventure, avait le potentiel de positionner Montréal comme première ville du transport électrique en Amérique du Nord.
En somme, les manquements relevés par l’inspecteur puis le vérificateur général donnent raison à ceux qui jettent la pierre à Denis Coderre et ses collaborateurs. Mais ceux qui jettent la pierre devraient se garder une petite gêne avant de s’émerveiller devant le Quartier des Spectacles, dont les plans ont été financés par le budget de déneigement de l’Arrondissement de Ville-Marie, de « je vois mtl » (tenu à la Place des Arts grâce à une entente conclue spontanément devant deux urinoirs du TNM), de la Maison du Développement durable (bâtie sur le terrain d’Hydro-Québec par décision exécutive du PDG), ou même du Cirque du Soleil (dont l’essor est en partie dû à un contrat de gré à gré octroyé par Gilles Loiselle, futur ministre des Finances du Canada, sans appel d’offre). Qu’ils se contentent de célébrer les fleurons de la république des bas bruns.
Ce texte a été publié dans La Presse+