La philanthropie
PETIT DON DEVIENDRA GRAND
Au cœur de Montréal-Nord, c’est-à-dire au fin fond des préoccupations des Montréalais, se trouve une école banale, l’Annexe Saint-Rémi. L’établissement a été choisi pour être le foyer de l’une des expériences les plus intéressantes en petite enfance dans le monde. Chaque jour, une poignée d’élèves du préscolaire y reçoivent trois heures de cours de piano, violon, percussion et chant choral.
Le projet a été imaginé par Kent Nagano, dont la vie a été complètement chamboulée lorsque Wachtang Korisheli, un professeur de musique rescapé des camps allemands, est débarqué dans son village perdu en Californie. Ce professeur n’a pas fait du jeune Nagano un musicien exceptionnel : il lui a donné des outils et ouvert l’esprit de façon à le rendre maître de sa destinée. C’est ce que veut reproduire, à Montréal-Nord, le brillant directeur musical de l’OSM par « La musique aux enfants ».
Si le projet est passé d’idée à réalité, c’est notamment grâce à l’appui financier de plusieurs donateurs, dont la famille Jean Coutu, mais aussi de deux inconnus du grand public, Satoko Shibata et Richard Ingram. Ce couple de Montréalais, qu’on voit régulièrement aux concerts, a fait fortune en vendant, dans la fin des années 90, une société d’archivage corporatif. Depuis, ils redonnent à la société.
On dit souvent que les Québécois sont moins généreux que les autres Canadiens, le don de charité médian étant de 130 $ contre 280 $. Pour avoir observé de près plusieurs opérations de financement de projets sociaux, éducatifs et culturels, je m’inscris en faux contre cette idée.
C’est que le ressort central de la philanthropie n’est pas la générosité des individus, mais plutôt la mise en place d’une structure qui les encourage à donner.
En d’autres mots, la philanthropie n’est pas un système de poussées (push), mais bien de tirées (pull).
L’un des grands donateurs culturels de Montréal, Pierre Bourgie, me racontait une anecdote qui illustre parfaitement cela. Après son don majeur qui a permis au Musée des beaux-arts de Montréal de construire le pavillon qui porte aujourd’hui le nom de sa famille, Bourgie s’est vu décerner le prestigieux prix Bovey, à Toronto. Le prix vient avec un chèque de 20 000 $. Or, non seulement Business for the Arts, qui organise l’événement, lui a « recommandé » de remettre illico cette somme à un organisme de son choix… mais il lui a de surcroît « suggéré » de doubler la mise en payant lui-même la balance. On ne parle plus de « main tendue », mais de main qui rentre carrément dans la poche des individus pour les encourager à donner.
APPRENDRE À DONNER
Un autre élément important dans l’univers de la philanthropie est de réaliser que le fait de donner n’est pas directement corrélé avec la richesse des individus.
Contrairement à l’idée reçue, on ne donne pas parce que son coffre-fort est plein à craquer : on donne parce qu’on a appris à donner, dès son plus jeune âge.
Si l’Université McGill reçoit plus de dons que n’importe quelle autre université du Québec, c’est que tous les étudiants, à la seconde où ils reçoivent leur diplôme, se font demander une contribution modeste annuelle. Collecter ces petits dons coûte cher à McGill puisqu’il faut les susciter par une armée de professionnels et de bénévoles. Mais il s’agit d’un investissement stratégique puisque la presque totalité des dons majeurs d’aujourd’hui viennent d’individus qui avaient, alors qu’ils étaient en début de carrière, donné une poignée de dollars. Parmi ces milliers de jeunes professionnels qui signent de petits chèques se trouvent forcément des individus destinés à devenir riches qui, lorsqu’ils le seront, donneront de façon conséquente.
Le premier don de Richard Ingram à l’OSM était de 100 $, ce qui est typique. Ce don a ouvert la voie à ce qu’il donne encore et encore, rendant ultimement possible la réalisation de La musique aux enfants à l’Annexe Saint-Rémi. Alors que l’été s’est enfin installé sur Montréal, les élèves de l’Annexe Saint-Rémi s’apprêtent à ranger leurs instruments de musique pour se lancer dans leurs vacances bien méritées. Les organisations culturelles, sociales ou éducatives devraient profiter de cette pause pour réfléchir à comment s’organiser pour aller chercher davantage de dons.
Ce texte a été publié dans La Presse+