Le gibier sauvage et la gastronomie

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OPINION FÉLIX-ANTOINE JOLI-CŒUR

GIBIER SAUVAGE AU RESTAURANT

RELANÇONS CE PROJET AUX MULTIPLES VERTUS

FÉLIX-ANTOINE JOLI-CŒUR

CONSULTANT ET ENTREPRENEUR

En février 2014, 10 des plus grands chefs du Québec étaient réunis au Toqué ! à l’invitation du gouvernement de Pauline Marois. Yves-François Blanchet, ministre de l’Environnement et Pascal Bérubé, du Tourisme, annonçaient le lancement d’un projet pilote levant l’interdiction de servir du gibier sauvage dans les restaurants.

Les paramètres du projet, fruit d’un travail de collaboration exemplaire entre plusieurs ministères, étaient stricts. Une poignée de restaurateurs auraient la permission de vendre une quantité limitée de gibier chassé ou trappé dans les forêts du Québec, par des chasseurs/trappeurs accrédités. Cela, pour une période définie, légèrement décalée de la saison de la chasse pour permettre le faisandage de la viande.

Le projet, qui n’aura finalement jamais vu le jour, avalé par la morosité du gouvernement de Philippe Couillard, avait pourtant plusieurs vertus.

LA GASTRONOMIE, SECTEUR EN TRANSFORMATION

Tout d’abord, il s’agissait d’un appui concret à l’industrie de la gastronomie. S’il y a un secteur qui s’est transformé ces dernières années, c’est bien celui de l’art de la table. Oui, le phénomène dépasse largement nos frontières, la popularité de Food Network en étant la preuve. Mais ici, on a su développer une proposition unique, largement basée sur nos racines historiques et notre géographie.

Le résultat ? Une variété de fromages inégalée en Amérique du Nord, un art de la boulangerie qui peut faire concurrence à Paris, une industrie brassicole puis de distillation qui a dynamisé des quartiers et des villages, mais surtout, des restaurants célébrés par les citoyens.

Aussi, ce n’est pas un hasard si c’est à Montréal qu’ouvrira le premier Time Out Market du pays, un concept de foire alimentaire 2.0 qui fait courir les foules à New York et à Lisbonne. Et sommes-nous surpris que la Société de développement Angus ait eu l’audace de développer un projet concurrent made in Montréal, Le Central, tout aussi exceptionnel ?

Or, contrairement à l’industrie du jeu vidéo ou aux autres secteurs qui ont reçu un appui massif des gouvernements, la gastronomie s’est métamorphosée dans l’indifférence générale des décideurs politiques, sans appui particulier autre que le travail discret, mais structurant de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.

Autoriser la vente de gibier pour une courte période de l’année aurait donc été un acte fort pour signaler la fierté que nous inspirent nos plus grands chefs. Étant donné que la pratique est extrêmement rare en Amérique du Nord, l’événement annuel aurait pris la forme d’une grande célébration courue, peut-on penser, par les foodies d’ici comme d’ailleurs.

LA CHASSE, UNE TRADITION

L’autre vertu du projet est davantage de l’ordre du symbole. La chasse est une pratique qui a contribué à définir qui nous sommes. Alors que nos ancêtres se voyaient interdire de chasser en France, ils ont pu parcourir les forêts du Canada, souvent guidés par les autochtones, dans des expéditions qui ont depuis nourri notre imaginaire collectif, notamment grâce aux coureurs des bois.

Aujourd’hui, les voyages de chasse font encore partie des us et coutumes de plusieurs. À preuve, c’est un peu plus d’un demi-million de permis de chasse qu’a vendus le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs l’an dernier, ce qui exclut les permis pour oiseaux migratoires, vendus par le gouvernement fédéral.

Permettre aux meilleurs restaurants des grandes villes du Québec de vendre du gibier aurait contribué à célébrer cette tradition, plus visible en région qu’en ville. Cela aurait également permis de contribuer à bâtir des ponts entre la ville et la campagne et, plus particulièrement, entre Montréal et les régions du Québec.

Oui, nous évoluons dans des cadres de plus en plus différents. Mais rappelons-nous toujours que Montréal est une ville unique en Amérique du Nord, parce que c’est la métropole d’un vaste territoire animé d’une culture distincte. Sans cela, nous ne serions que l’une des 40 grandes villes du continent.

Alors que le gouvernement de François Legault nous a habitués à régler « des dossiers qui traînent », relancer le projet serait tout à son honneur.

Ce texte a été publié dans La Presse+

Félix-Antoine Joli-Coeur