Le cimetière des annonces
L’est de Montréal ou le cimetière des engagements politiques
Depuis les années 1980, les promesses pour développer l’est de Montréal se succèdent pour être ensuite enterrées. Les récentes annonces du gouvernement du Québec ouvrent-elles une nouvelle ère?
« Lorsque j’ai été élue pour la première fois à l’Assemblée nationale, le quart de l’industrie au Québec se trouvait dans l’est de Montréal », explique Louise Harel, députée dans Maisonneuve de 1981 à 2008. « L’est, c’était les trains, les bateaux, les raffineries. On y produisait même des têtes de sous-marins nucléaires. »
Économiquement parlant, Rosemont est né au début du siècle dernier, de la voie ferrée qui se rend au Port de Montréal en suivant la rue D’Iberville à partir de la rue Masson. Le Canadien Pacifique y avait acquis deux terrains contigus : le premier pour y aménager un complexe industriel d’entretien de locomotives et de wagons, le second, pour y bâtir un quartier résidentiel destiné aux ouvriers. Au plus fort de son activité, 12 000 travailleurs opéraient dans 130 bâtiments, faisant du site l’un des plus gros centres industriels du Canada.
Puis vint le déclin, amorcé dans un vaste courant de désindustrialisation.
« L’est de Montréal est devenu, au fil du temps, un cimetière d’annonces publiques », tranche aujourd’hui l’ancien maire de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie et acteur de longue date du quartier, André Lavallée. À titre d’exemple, il pointe le SRB Pie-IX, qui a été inauguré au même moment que le REM de la Caisse dans l’ouest de l’île, alors que le premier projet avait été annoncé en 2002 et le second, en 2016.
Ce quartier, André Lavallée le porte sur le cœur. Il y a quarante ans, il faisait partie d’un groupe de citoyens qui se sont fermement opposés au développement de l’ancien site industriel en centre d’achats. « Le projet initial s’inspirait du modèle dominant nord-américain. Nous avons réclamé un quartier habité et habitable, un projet caractérisé par la mixité des usages, c’est-à-dire qui permette à une population locale d’y vivre, d’y travailler, d’y faire ses courses et de recevoir des services. »
Le débat s’est finalement rendu jusqu’à la table du premier ministre René Lévesque qui a personnellement écarté le centre d’achat et tranché en faveur du projet citoyen. Ainsi est né un quartier résidentiel caractérisé par une mixité sociale, un fort couvert végétal et un souci pour l’intégration architecturale. S’en est suivi le lancement la Société de développement Angus qui, sous le leadership de bâtisseurs comme Christian Yaccarini, Louis Roquet et Bernard Lamarre, a transformé le coin en l’un des technopoles les plus dynamiques du grand Montréal.
Des promesses sans cesse reportées
Mais le succès du projet, comme celui d’autres interventions majeures, par exemple le Parc Olympique en face du Jardin botanique en 1976 ou la Cité des arts du cirque dans Saint-Michel, n’ont pas encore réussi à donner l’impulsion nécessaire pour faire décoller l’est de Montréal. Cela, entre autres, parce que les investissements en infrastructures stratégiques n’ont cessé d’être promis, puis reportés.
Par exemple, on a promis plus d’une fois le prolongement de la ligne bleue du métro ou la requalification de la rue Notre-Dame qui, faute d’être réalisés, rendent le territoire pénible d’accès. En matière de santé, il a fallu attendre que la maçonnerie de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui dessert à lui seul une population équivalente à celle de la ville de Québec, soit retenue avec de la broche pour enfin recevoir les fonds nécessaires pour sa rénovation. Quant aux services municipaux, les arrondissements Rosemont-La Petite-Patrie ou Hochelaga-Maisonneuve doivent composer avec un budget un quart plus petit, per capita, que celui d’Outremont.
« L’est de Montréal équivaut, en termes de superficie, à Barcelone. Ce territoire a le potentiel de devenir une grande zone d’expérimentation et d’innovation pour tout le Québec. L’est représente également une solution pour l’étalement urbain, les différents quartiers offrant un potentiel important de densification. », souligne André Lavallée qui rêve que le modèle qui a permis l’émerge du quartier entourant les Shops Angus serve de modèle. Condition sine qua non pour réaliser ce rêve : « Il faut des investissements dans les infrastructures. Pas besoin de réfléchir longtemps à ce qui devrait être fait : il suffit de réactiver les projets qui ont été abandonnés au fil des dernières années. »
Rompre avec « le passé terne »
Chantal Rouleau, ministre de la métropole pour le gouvernement Legault, dresse le même constat. « On sait ce qu’on a à faire, on est dans l’action aujourd’hui ». Celle à qui l’on doit la navette fluviale qui relie Pointe-aux-Trembles au Vieux-Port, de mai à octobre, s’est investie comme ministre pour que l’est de Montréal devienne un territoire qui fasse rêver. « On travaille à changer la couleur de l’est : on veut passer du gris au vert. »
Donnant comme exemple les sommes allouées par le gouvernement à la décontamination des sols, « qui bloquent tout développement », puis à la relance du projet de la rue Notre-Dame et d’une possible extension du REM, la ministre ne cesse de répéter que l’heure est venue de rompre avec « le passé terne » associé au territoire. « La rétention des familles dans Montréal, c’est par l’est que ça passe. », dit-elle.
Le temps dira si cette intention déclarée du nouveau gouvernement marquera un changement de paradigme pour l’est de Montréal ou ira plutôt nourrir les pissenlits du cimetière des promesses gouvernementales.
« Malgré des années de déception, je suis aujourd’hui confiant. Les leaders du secteur, ceux qui sont là depuis longtemps mais aussi de nouveaux visages, sont plus mobilisés que jamais. Surtout, d’un point de vue stratégique, on n’a pas les moyens de se priver du potentiel du secteur pour développer la métropole », de conclure André Lavallée.
Ce texte a été publié dans L’actualité