Il était une fois dans l'Est

IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’EST

Florentine Lacasse, héroïne de Bonheur d’occasion, aurait tout un choc si elle devait visiter le Saint-Henri d’aujourd’hui.

Le quartier, décrit dans toute sa pauvreté par Gabrielle Roy, est maintenant un lieu couru avec ses condos et son marché Atwater, tant et si bien que le « quinze cennes » où elle travaillait a fait place à l’un de ces restaurants parmi les plus branchés de la ville.

Un héros contemporain à Florentine, mais gravitant dans l’est de Montréal, parviendrait plus facilement à retrouver ses repères. Les quartiers qui s’y trouvent, Rosemont, Hochelaga, Saint-Michel ou Montréal-Nord, ont vu poindre des îlots de développement, par exemple le Parc olympique, le Technopôle Angus ou la Cité des arts du cirque. Mais cette portion de l’île, située à l’est du chemin de fer qui longe la rue D’Iberville et où se trouve une population équivalente à celle de la ville de Québec, semble pourtant avoir évolué sur une orbite au ralenti, comme si l’est de Montréal s’était développé en marge du Grand Montréal.

Depuis 10 ans, par exemple, les trottoirs de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal sont systématiquement élargis en saillie aux intersections de façon à ralentir la circulation automobile. Même chose dans Hochelaga ou Saint-Michel… mais faute de budget, on se contente de peindre au sol une ligne plutôt que de couler un nouveau trottoir.

Dans le Sud-Ouest, on profite de la reconstruction de l’échangeur Turcot pour refaire la configuration des voies d’accès, en particulier l’autoroute 720, de façon à permettre la fluidité de la circulation de transit. Dans Hochelaga, on attend depuis des décennies la requalification de la rue Notre-Dame qui, faute d’un aménagement adéquat, pousse les automobilistes qui arrivent dans l’île par le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et les camions qui desservent le port à se diriger vers le centre-ville en utilisant les rues résidentielles, empoisonnant du coup la vie de quartier.

De Brossard à Sainte-Anne-de-Bellevue, on voit s’articuler le chantier du Réseau express métropolitain (REM), un réseau de rails extérieur de 67 km où circuleront, dès 2023, des trains légers électriques, automatisés et sans conducteur. À Montréal-Nord, on attend depuis 2002 la réouverture d’une voie réservée pour faciliter l’accès au secteur. Le projet de SRB Pie-IX, qui s’est enfin mis en branle, fera place à des autobus… au diesel, qui n’amèneront même pas leurs passagers directement au centre-ville, faute de voie d’accès adéquate.

Si la liste des iniquités est-ouest semble infinie, ce n’est ni faute d’idées, de projets, voire d’annonces ou de promesses publiques.

L’Est, pour reprendre l’expression d’André Lavallée, père du Plan de transport de Montréal et ex-maire de l’arrondissement de Rosemont– La Petite-Patrie, est devenu un « cimetière d’engagements politiques ».

Le gouvernement Legault et sa ministre responsable de la métropole, Chantal Rouleau, se sont fermement engagés à changer les choses. Mais corriger la trajectoire de ce territoire demandera en plus une prise de conscience collective sur l’importance stratégique de cette portion de l’île de Montréal.

En d’autres mots, il faut passer de déclarations comme « l’est de Montréal possède un potentiel de développement évident » à quelque chose comme « le plus grand levier inexploité de développement de la région métropolitaine est l’est de l’île ». Fort de cette prise de conscience, il faudra ensuite cesser d’annoncer la mise sur pied infinie de bureaux de projets et passer à l’action résolument, le feu aux fesses.

Comme point de départ, on pourrait par exemple mettre sur pied un fonds de développement urbain de plusieurs centaines de millions.

Ce fonds, constitué par les trois ordres de gouvernement, mais également par des entreprises privées, serait entièrement destiné à financer les projets d’aménagement du domaine public. C’est effectivement en requalifiant les espaces publics (trottoirs, rues, places publiques) qu’on crée les conditions pour le développement économique, comme le prouvent les exemples récents du quartier Saint-Roch à Québec, du Quartier international à Montréal ou des projets similaires à Lyon ou à Pittsburgh.

La deuxième chose à faire sera le désenclavement de l’est de l’île. Le gouvernement Legault doit livrer rapidement ce qu’il a promis et, à sa défense, ce qui a été promis maintes fois par les anciens gouvernements. Il est temps de doter l’est de Montréal d’un plan de transport intégré qui intègre à la fois les besoins de mobilité de la population locale, mais aussi le transit des couronnes nord et sud. Ce plan devrait avoir comme adage d’ouverture « nous sommes au XXIe siècle, pas dans les années 90 », ou encore « ce qui est bon pour l’Ouest l’est également pour l’Est ».

CAMPUS UNIVERSITAIRE

Troisièmement, alors que des universités ont inauguré des antennes à Longueuil et à Laval, il est plus que temps de doter l’est de Montréal d’un campus universitaire qui servira de levier au développement économique du territoire. À cet égard, le gouvernement pourrait lancer un concours auprès des universités québécoises pour recevoir les meilleures propositions, puis financer le développement du concept retenu.

Finalement, si l’est de Montréal a été laissé en marge du développement de l’agglomération, c’est entre autres parce qu’on a pratiquement oublié son existence. Il est impératif, en conséquence, que l’énergie générée par l’arrivée d’un nouveau leadership à tout niveau, du gouvernement du Québec à la mairie en passant par la Chambre de commerce de l’Est, se traduise par une voie qui porte et nous fasse rêver d’un avenir inspirant pour ce territoire.

Ce texte a été publié dans La Presse+