Entretiens avec Robert Dutton et Madeleine Careau
Rien ne rassemble Robert Dutton et Madeleine Careau.
Le premier s’est imposé au tournant du siècle comme le roi des clous et des marteaux, faisant de RONA la première quincaillerie du pays avant sa vente à l’Américaine Lowe’s. La seconde s’est imposée comme l’une des grandes gestionnaires des arts de la scène au pays pour avoir, notamment, présidé à la renaissance de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM).
Alors qu’aujourd’hui, la COVID-19 continue de plonger nos économies dans un brouillard épais et insondable, j’ai voulu leur parler, tour à tour, pour qu’ils reviennent sur les leçons qu’ils avaient tirées de cette expérience vieille de 12 ans.
Si rien ne rassemble les deux leaders, deux enseignements majeurs tirés de cette époque sont pourtant similaires. Le premier est ainsi résumé par Robert Dutton : « Il devrait n’y avoir que deux modes de gestion : comme si on était en récession, ou comme si on allait entrer en récession. »
Madeleine Careau a pris les commandes de l’OSM en 2000. L’Orchestre cumulait alors un déficit de plus de 5 millions de dollars, équivalant au tiers de son budget d’exploitation, les grands projets artistiques, comme l’accueil de solistes renommés ou les tournées, se faisant à crédit. Madeleine Careau s’est ainsi attelée à transformer chaque épreuve, comme le départ fracassant de Charles Dutoit, en 2002, ou la grève des musiciens, en 2005, en occasion pour resserrer les règles de gestion. Aussi, lorsque la crise économique est arrivée, en 2008, c’est une organisation aux finances solides qui a pu y faire face.
Côté RONA, la crise avait frappé plus tôt. Rénover sa maison fait généralement partie du budget discrétionnaire des ménages qui, lorsqu’ils sentent que les vents se lèvent, vont remettre le rafraîchissement de la salle de bain ou la construction d’un patio. C’est donc dès la fin de 2006 que Robert Dutton a pu observer que la croissance soutenue des cinq dernières années s’atténuait puis, carrément, s’écrasait.
En temps de crise, me disait-il, il faut éviter la panique, mais agir dans l’urgence. Alors qu’il devait présenter aux membres de son conseil d’administration le plan stratégique sur lequel son équipe avait travaillé pendant des semaines, Robert Dutton a pris la décision de réécrire le document en 48 heures puis de présenter plutôt ce plan d’urgence qui reposait en grande partie sur une optimisation de la productivité, et donc de meilleurs coûts d’exploitation. Agir dans l’urgence aura ultimement permis à RONA de traverser une crise qui s’est étirée jusqu’en 2012 pour ce secteur d’activités.
Le second enseignement est de donner un sens à l’épreuve qu’on doit traverser. Pour Robert Dutton, cela signifie une authenticité et une transparence élevée dans le partage de l’information avec les parties prenantes. Si élevée que communiquer devient de l’éducation afin qu’employés et partenaires comprennent les tenants et aboutissants de chaque grande décision. Cette approche a le mérite de susciter le respect et la confiance, si bien qu’en pleine crise, RONA aura été capable de se rabattre sur son métier de distributeur et de convaincre ses détaillants indépendants de participer à l’effort en investissant dans leurs points de vente.
Pour Madeleine Careau, le sens était que même en pleine débâcle, et surtout en pleine débâcle, on devait protéger l’OSM, considéré comme l’un des grands orchestres d’Amérique du Nord. Sinon, que resterait-il à Montréal ?
Cette capacité à associer l’institution qu’elle dirigeait à l’espoir de lendemains meilleurs pour notre collectivité s’est traduite par une position d’attaque plutôt que de repli. Alors que la terre financière et économique tremblait, l’OSM a su convaincre le gouvernement du Québec de poursuivre le projet de Maison symphonique, d’une part, et d’autre part, a lancé une campagne de financement de 60 millions de dollars pour constituer ce qui est aujourd’hui l’un des plus grands fonds de dotation artistique au pays.
Pour sa part, RONA n’aura pas connu un sort aussi heureux. Le 9 novembre 2012, Robert Dutton était congédié. Le 3 février 2016, le quincaillier était vendu à l’Américaine Lowe’s.
À l’époque, on débattait de l’importance stratégique pour le Québec de conserver le contrôle de l’entreprise, débat teinté par un certain mépris envers le commerce de détail, mépris d’autant plus paradoxal que des entrepreneurs d’ici ont fondé des géants comme Métro, Jean Coutu ou Couche-Tard. Alors qu’aujourd’hui on revisite à la dure l’importance de l’économie locale, on peut se questionner sur le sort qu’aurait connu la vente de RONA si le débat s’était déroulé de nos jours.
La crise de la COVID-19, qui nous oblige, en plus de compter les faillites, à pleurer nos morts, est sans commune mesure avec celle de 2008. Mais comme en 2008, il y aura forcément des lendemains. À nous de porter et de transmettre aux prochaines générations les enseignements qu’on en aura tirés.
Ce texte a été publié dans La Presse+