Encore la culture qui écope
Le jeudi 12 mars, à 6 h du matin, je sortais de chez moi pour rejoindre l’équipe de direction de l’Orchestre symphonique de Montréal rassemblée pour une retraite stratégique que j’allais animer.
À 6 h 08, alors que je venais de recevoir mon café commandé au commerce du coin, j’ai reçu un appel me disant que la retraite était annulée. Quelques heures plus tard, on fermait les portes de la Maison symphonique, comme celles des écoles et de la majorité des commerces.
Lundi dernier (comme quoi le hasard fait bien les choses…), j’animais cette fois une discussion virtuelle avec les dirigeants de huit grandes institutions culturelles de la métropole, lorsqu’au beau milieu des échanges, le directeur général de la TOHU a reçu une notification média disant que les salles de spectacle devraient de nouveau fermer leurs portes, le Grand Montréal venant de passer en zone rouge. Aussi bien dire que ça a gâché l’ambiance…
Je ne connais pas les données et les analyses sur lesquelles se base le gouvernement du Québec pour prendre la décision de refermer les portes du milieu culturel, et conséquemment, je ne suis pas à même de juger de cette décision. Je note cependant que jusqu’à présent, la réouverture avait été ordonnée et qu’on avait éliminé toute possibilité de socialisation en présentant par exemple des spectacles et des concerts sans entracte. Je note également que dans les prochains jours, l’Opéra national de Paris présente un ballet et le Philharmonie de Berlin présente un concert…
On entend que le rationnel pour mettre la clé sous la porte des institutions artistiques d’ici est d’envoyer le signal que la « récréation est finie » et qu’il faut rester chez soi. Éliminer le luxe d’une sortie culturelle est un passage obligé.
Encore une fois, si je ne conteste pas le bien-fondé de la décision du premier ministre, je note que le milieu culturel est souvent utilisé comme « signal ».
On a, par exemple, vu les syndicats d’enseignants faire le boycottage de sorties culturelles pour illustrer leur surcharge de travail puis envoyer le « signal » qu’assez, c’est assez. Ce sont également les projets d’infrastructures culturelles qu’on a mis sur la glace lorsqu’il y a eu surchauffe des prix dans le milieu de la construction, par exemple la requalification de Musée d’art contemporain et de la Bibliothèque Saint-Sulpice, voulant ainsi envoyer le « signal » de rigueur au milieu de la construction et leur signifier qu’assez, c’est assez. Ou encore, en début d’année, la mairie n’a pas été foutue de trouver une date pour la tenue de la rencontre pourtant très attendue de l’évènement quinquennal et structurant « Montréal métropole culturelle ».
La culture est, à sa face même, utilisée comme le dessert dont on prive les enfants pour leur « passer un message ». Mais voilà, à mon humble avis : la culture n’est pas la cerise sur le sundae. La culture, au sens large, c’est Montréal.
N’eût été de notre histoire unique, de nos racines qui remontent aux contacts des colons avec les Premières Nations, du fait français, bref, de notre culture, Montréal ne serait qu’une parmi les 40 grandes villes d’Amérique du Nord. Mais Montréal est Montréal grâce à ce bagage particulier. Et ce bagage, il continue à être nourri et développé par ceux et celles qui mettent en valeur le patrimoine, par nos artistes, par nos institutions culturelles puis par nos institutions de savoir comme nos universités.
La crise sanitaire, en plus d’avoir poussé des milliers de familles dans l’anxiété puis dans le deuil, aura ébranlé plusieurs institutions au cœur de l’identité de notre métropole. Les grandes institutions culturelles, au premier chef, auront beaucoup de difficulté à s’en remettre, coupées qu’elles sont du public d’ici et des réseaux internationaux qui leur donnent toute leur pertinence, mais aussi parce que même fermées, elles continuent à devoir gérer des actifs importants.
Leur déclin, s’il devait s’avérer, serait terrible pour le milieu des arts puisque cela priverait des milliers d’artistes et de travailleurs culturels spécialisés de revenus.
Et ce déclin arriverait à un bien mauvais moment alors que la majorité de ces institutions s’étaient lancées dans un chantier pour attirer un public davantage représentatif de la population du Grand Montréal, bâtissant autant de ponts avec les citoyens de la ville, de toutes origines, de toutes générations et de toutes conditions.
En somme, si je me refuse toujours à juger la décision de fermer les portes des institutions culturelles de Montréal, j’espère que les mesures promises pour en atténuer les conséquences seront au rendez-vous, et vite. Ce serait un « signal » bien plus fort et positif que ceux auxquels nous avons été habitués.
Ce texte a été publié dans La Presse+