Chantiers à Montréal

SORTIR DE NOTRE FATALISME

La saison des travaux promettait d’être difficile cet été, à Montréal. Tout compte fait, elle aura été terrible.

Aux grands chantiers annoncés de longue date et qui paralysent des secteurs entiers de l’île, par exemple la reconstruction de l’échangeur Turcot dans l’Ouest ou la requalification de la rue Pie-IX dans l’Est, s’ajoutent des centaines d’interventions mineures faites par la Ville et ses services, par les arrondissements, par d’autres entreprises d’utilité publique ou par des promoteurs privés.

Le plus frappant est l’absence totale de coordination des chantiers. Exemple : cela fait depuis 2012 qu’on attend l’asphaltage de l’avenue du Parc, dans le secteur Mile End/Outremont, soit depuis que la rue a été éventrée pour y reconstruire les conduites d’eau potable et d’égout. L’asphaltage a finalement été fait en juin de cette année, comme si on avait attendu exprès que les deux rues voisines, Hutchison et Durocher, soient elles-mêmes en chantier. Trois rues parallèles fermées simultanément, alors que les autres artères du secteur, soit Saint-Urbain, Saint-Laurent, Saint-Denis, Saint-Joseph et Fairmount, étaient également en travaux. La belle affaire.

Et tout ça, à quelle fin ? Nous avons pu voir en mai l’excavation surprise de l'avenue des Pins, au coin de l'avenue du Parc. Tout avait pourtant été refait à neuf dans l’immense chantier qui avait jeté à terre l’échangeur du Parc/des Pins, il y a à peine 10 ans. La ligne de Boileau, « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », est-elle vraiment devenue notre nouveau slogan ?

Les discussions sur l’avenir de la rue Saint-Denis, sur le Plateau, illustrent d’ailleurs parfaitement cet esprit. Alors que la rue a été refaite de bord en bord en 2016, la mairie d’arrondissement a récemment déclaré qu’il faudrait élargir les trottoirs (ce qui demanderait incidemment de tout rouvrir, puisqu’il faudra déplacer les puisards). La Ville de Montréal, quant à elle, a annoncé l’aménagement d’une section du Réseau express vélo au même endroit. Et on entend que la STM voudrait un corridor réservé, pour soulager la ligne orange.

Mais où donc dans le monde parle-t-on de design et d’aménagement APRÈS que les travaux eurent été réalisés ?

Le plus navrant est qu’on accepte peu à peu l’idée qu’il n’y a rien à faire, que c’est comme cela et que ça restera comme cela pour 15 ans, voire pour toujours. Un peu comme les fameuses urgences de nos hôpitaux où l’idée d’attendre des heures avant de voir un médecin s’est peu à peu imposée comme la nouvelle norme. Et comme pour les urgences, c’est lorsqu’on sort du Québec, lorsqu’on voit comment ça se fait ailleurs, qu’on comprend que quelque cloche ici.

Changer les choses est un impératif puisque s’il est reconnu que l’investissement dans les infrastructures urbaines a un effet multiplicateur sur la croissance économique – la firme BCG avance que chaque dollar investi peut générer 30 sous d’activité économique annuelle récurrente –, mal faire les choses a l’effet inverse. En d’autres termes, la planification à la mitaine et le travail en jambon nous coûtera cher et sapera inévitablement notre capacité à maintenir et poursuivre le nouvel élan que connaît la métropole.

Changer les choses est également possible. L’UNESCO ne reconnaît-elle pas Montréal comme « ville de design », essentiellement à cause de la qualité de notre bassin de designers ? Le Project Management Institute, qui rassemble les professionnels de la gestion de projet dans le monde, n’a-t-il pas récemment désigné son antenne montréalaise comme « chapitre de l’année » ? Et n’est-ce pas nos ingénieurs qui viennent de concevoir l’un des avions les plus modernes au monde, la CSeries, ou nos travailleurs qui ont conçu et coulé la flèche du plus haut gratte-ciel de l’hémisphère ouest, soit celle du One World Trade Center à New York ?

Changer les choses demandera que chacune des parties prenantes s’y mette, sérieusement.

VISION INTÉGRÉE

À mon sens, une véritable révolution des travaux publics demande que les villes deviennent les organes fédérateurs du développement de leurs infrastructures. La Ville de Montréal, en particulier, ne doit pas ni ne pourrait devenir responsable de tous les chantiers. La Ville devrait cependant développer une vision précise et intégrée des interventions publiques et privées sur son territoire.

Pas un trou ne pourrait être creusé, pas une voie ne pourrait être bloquée sans qu’on ait préalablement inscrit l’intervention à un registre virtuel central qui permettrait de mesurer leur impact sur les flots de circulation, puis d’en atténuer les conséquences en permettant une meilleure planification. Le registre, qui serait ouvert, permettrait également aux citoyens (et, incidemment, à ceux qui paient les travaux) de comprendre ce qui se passe et même de se prononcer sur la nature des travaux pour les améliorer.

Montréal est l’une des capitales de l’intelligence artificielle : cette solution est à portée de main.

Le gouvernement du Québec, quant à lui, devrait enterrer une fois pour toutes la règle « du plus bas soumissionnaire » qui, en plus d’avoir encouragé la corruption ces dernières années, a transformé le secteur de la construction en vendeurs de fausses aubaines plutôt qu’en outil de développement économique moderne. L’État québécois doit de surcroît s’intéresser davantage aux nouveaux modes de réalisation des infrastructures de façon à ce que le Québec redevienne un leader en cette matière. D’ailleurs, qui de mieux placé que nos actuels ministres des Finances, de l’Économie et du Trésor pour comprendre l’enjeu, le trio composé d’Eric Girard, Christian Dubé et Pierre Fitzgibbon ayant une expérience de première main en cette matière ?

Finalement, le secteur de la construction devra inévitablement se moderniser. Ici, on doit imaginer Investissement Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec faire front commun pour consolider les gazelles du secteur. Cela permettra d’arrêter de faire les travaux en les séparant en micro-segments, faute de grande entreprise en mesure de répondre à des appels d’offres majeurs, allongeant d’autant la durée de chantiers qui semblent être faits à la truelle. En fait, appuyer le secteur dans sa modernisation et dans ses gains de productivité permettra surtout de voir émerger des champions des infrastructures qui pourront ensuite exporter notre savoir-faire, acquis à même la rénovation du Grand Montréal.

Ce texte a été publié dans La Presse+

Félix-Antoine Joli-Coeur