Bienvenue chez nous !

Cet été, mon amoureuse, nos quatre enfants et moi-même nous lançons dans un échange de maison et voiture avec une famille européenne. Voici la note que je dépose sur le seuil de la porte.

Chère famille Constant,

Bienvenue à Montréal ! Bienvenue chez nous ! Vous trouverez ci-joint une carte où j’ai noté les meilleures adresses. C’est un peu dense ! Le Grand Montréal est en pleine ébullition : on ne compte plus les endroits qu’il faut visiter.

Je vous écris cette note pour vous aider à comprendre les règles pour stationner la voiture que nous vous avons laissée durant votre séjour. Dans le seul tronçon face à chez nous, il y a… 62 panneaux de signalisation. Parfois difficile de s’y retrouver…

Pourquoi 62 ? D’abord, parce que les règles changent à chaque quelques mètres, si bien qu’il y a 23 différentes zones de stationnement seulement devant chez nous, entre les deux rues transversales. Les véhicules munis d’une vignette peuvent se stationner partout. Enfin, pas partout parce qu’au coin de la rue, le numéro de vignette change. Il faut croire qu’on a peur que les voisins se visitent en voiture.

Donc dans mon seul quartier, beaucoup de panneaux, beaucoup de zones, beaucoup de numéros de vignettes. Un peu confondant, mais on s’y fait.

Parlant d’être mélangé, vous remarquerez que les zones sont désignées par des flèches, qui ne pointent non pas devant ou derrière, mais sur le côté droit ou gauche. À cet égard, rien n’est plus comique que d’observer un conducteur perplexe analyser le panneau pour 1) essayer de déduire si la zone qu’il désigne s’arrête ou débute à la pancarte, 2) comprendre la signification du panneau. Ça rappelle Astérix dans la maison des fous !

Ici, l’enjeu n’est cependant pas de gagner la couronne de Jules César, mais plutôt d'éviter de recevoir une contravention assez salée. Et attention ! Alors que l’hiver la Ville justifie la glace sur les trottoirs par l’étendue infinie du réseau (10 000 kilomètres de rues et de trottoir), l’été, ce défi semble s’être envolé. Quelques minutes et la contravention sera immanquablement déposée sur le pare-brise du véhicule mal stationné.

Je ne sais pas exactement comment traduire l’expression américaine « pain in the ass ». Mais sa meilleure manifestation est assurément la règle qui oblige les automobilistes à libérer un côté de la rue, deux fois par semaine. Comme il y a aujourd’hui trop de véhicules à Montréal, bonne chance pour trouver une place ! La Ville aurait voulu déployer un programme pour nous encourager à aller au travail en voiture qu’elle n’aurait pas trouvé meilleure initiative.

Pourquoi faut-il libérer un côté de la voie ? Officiellement, c’est pour nettoyer la rue. Assez paradoxal, vous me direz, lorsqu’on voit l’état de malpropreté généralisé : les poubelles débordent, les détritus jonchent les trottoirs et les rues, le ménage du printemps n’est toujours pas terminé.

En fait, l’omniprésence du balai mécanique déresponsabilise les citoyens et les commerçants.

Pourquoi faire sa part alors que la Ville s’occupe du ménage deux fois par semaine (j’ai le même problème avec ma grande fille…) ?

Le contre-exemple est la ville de Québec. Là-bas, pas de balais mécaniques, pas d’interdiction de stationner… et c’est plus propre. Ça paraît contre-intuitif, mais c’est un peu comme les entreprises qui ont éliminé les poubelles individuelles des employés. Ça responsabilise les individus, et le résultat est une diminution des ordures, et un lieu de travail plus sain et plus propre.

UN MAL NÉCESSAIRE

On vous laisse notre véhicule pour que vous profitiez du pays. Conseil d’ami avant de faire démarrer le moteur : buvez une bonne tasse de tisane ! Alors que j’écris cette note, les rues Durocher, Hutchison, Saint-Denis, l’avenue du Parc et le boulevard Saint-Laurent, tous parallèles, sont partiellement ou totalement fermés. Pour une raison nébuleuse, on a pris l’habitude de faire les travaux, urgents ou non, tous en même temps. Patience !

Vous me demanderez pourquoi, dans ces conditions, nous avons toujours un véhicule. Eh bien, c’est parce qu’au Québec, on a investi massivement ces trois dernières décennies dans le système autoroutier tout en oubliant les transports collectifs.

Faites le test : aller en train à Québec, l’été, est souvent plus long que faire Montréal-Paris en avion.

Et parlant d’avion, c’est plus cher de faire le vol Montréal-Saguenay que le vol Montréal-Paris ! Bref, notre véhicule est un mal nécessaire.

Je termine en vous réitérant mes vœux d’accueil. Oui, on a un méchant défi sur le plan de la propreté et de la congestion. Il n’en demeure pas moins que Montréal est une ville exceptionnelle. Exceptionnelle, parce qu’elle est une exception dans le panorama des villes nord-américaines, tant en raison des valeurs qui nous unissent qu’en raison de notre culture propre, dont le fondement est une langue que nous préservons depuis 260 ans. Puis évidemment, parce que Montréal est assise sur un territoire vaste et sublime, le Québec.

Profitez de vos vacances ! Profitez au maximum de Montréal !

Ce texte a été publié dans La Presse+