Les propositions spontanées

UNE TENDANCE ÉMERGENTE POUR LA RÉALISATION DE GRANDS PROJETS

Il n’y a pas si longtemps encore, ce qu’on appelle aujourd’hui « infrastructures » était désigné comme les « travaux publics ».

Bien que les deux termes se côtoient toujours dans l’usage, « travaux publics » est en perte de vitesse depuis les années 80, étant devenu associé, ici et ailleurs, aux magouilles de politiciens cherchant à gagner des votes et au financement de campagnes par le détournement de ces budgets.

Au contraire, « infrastructures » porte une consonance d’avenir et d’ambition sociétale. « Infra », qui signifie « en dessous de » en latin, évoque le concept que les infrastructures sont à la base des structures de notre société. Et cela n’est pas loin de la réalité, puisque si la civilisation a été rendue possible, d’un point de vue physique à tout le moins, c’est grâce à l’aménagement d’aqueducs pour acheminer l’eau aux villes, à la construction de routes, de ponts et de tunnels pour permettre les déplacements, à l’érection de digues pour repousser la mer, à l’aménagement de dépotoirs et d’égouts pour réduire les risques d’épidémies.

Aujourd’hui, on utilise généralement la notion de « travaux publics » pour désigner l’ordinaire et d’« infrastructures » pour faire rêver. À Montréal, par exemple, les arrondissements ont leur « service des travaux publics » pour boucher les nids-de-poule, alors que la Ville a un « service des infrastructures » mandaté pour faire de la métropole une ville UNESCO de design, une métropole culturelle, une ville intelligente, etc.

Mais voilà, les nouveaux noms, s’ils signalent une volonté de changement, ne sont pas en soi des moteurs de progrès.

Toujours à Montréal, ce sont par exemple les arrondissements comme celui du Plateau et leurs ennuyants services des travaux publics qui ont importé ici les pratiques du nouvel urbanisme, alors que la ville centre est toujours incapable de remplir la promesse faite il y a plus de 12 ans d’amener sur notre territoire la technologie du tramway.

J’ai pu présenter ici différentes idées que pourraient embrasser la Ville de Montréal et les autres pouvoirs publics pour moderniser leurs pratiques en cette matière. Mais alors qu’il y a urgence pour que les fonctionnaires deviennent meilleurs dans la réalisation de projets d’ouvrages d’art et d’aménagement du domaine public, ceux qui sont aux commandes devraient également chercher à mettre en place les conditions pour que la vision qu’ils ont articulée se réalise par elle-même.

LES « PROPOSITIONS SPONTANÉES »

À cet égard, une tendance émergente que l’on observe dans le monde sont les « propositions spontanées » ou « unsollicited proposals ». Selon ce modèle, des consortiums qui regroupent des expertises en financement, conception et exécution de grands projets proposent à un gouvernement local ou national de bâtir une infrastructure. La particularité de cette démarche est que la proposition ne répond pas à un appel d’offres, mais plutôt à une vision clairement exprimée dans les livres blancs, les politiques publiques et les grands discours d’orientation.

Pour que cette pratique émerge, les autorités doivent d’abord l’autoriser formellement, puis l’encadrer pour éliminer les zones grises.

L’encadrement doit notamment protéger ceux qui déposent les projets. Un consortium qui proposerait, par exemple, de construire la fameuse ligne rose ou un lien rapide entre Québec et Montréal devrait investir au préalable des sommes considérables pour développer le plan d’affaires. Alors qu’il revient aux gouvernements d’accepter ou de rejeter la proposition, ils doivent d’office s’engager à ne pas la rejeter… tout en conservant les plans pour s’en inspirer par la suite. En d’autres mots, l’encadrement doit protéger la propriété intellectuelle développée dans le cadre de la proposition.

Les gouvernements doivent également protéger l’intérêt général. Les offres non sollicitées, parce qu’elles arrivent sans crier gare, sont non compétitives par définition. Au Chili, à Taiwan, en Nouvelle-Zélande ou en Corée du Sud, où des dizaines de projets non sollicités ont été réalisés, on a mis en place des mécanismes pour favoriser la transparence et la compétition. Par exemple, une fois un projet accepté, on ouvre le jeu et on propose à d’autres consortiums de réaliser un projet similaire. Si un compétiteur arrive avec un meilleur prix, on offre alors la chance à l’équipe qui a déposé le projet original d’égaler l’offre, faute de quoi le projet sera réalisé par le compétiteur.

Nous avons été habitués, dans le Grand Montréal, à nous faire rebattre les oreilles par de grandes visions qui accouchent de souris. Ainsi, notre région métropolitaine serait, à mon sens, un territoire fertile pour ce nouveau mode de réalisation de grands projets.

Pour cela, il faudrait que le nouveau gouvernement du Québec remplisse sa promesse d’être un gouvernement moderne et réforme les règles archaïques imposées par son Conseil du trésor, puis que les ministères, villes et agences gouvernementales comme exo sortent de leur zone de confort pour s’assurer que les visions qui sont proclamées à tout vent deviennent réalité.

Ce texte a été publié dans La Presse+

Félix-Antoine Joli-Coeur