"Plan stratégique" de la Ville de Montréal

Si le « Plan climat », présenté jeudi par la mairesse de Montréal, Valérie Plante, envoie un signal fort comme quoi la Ville s’attaque résolument au défi du réchauffement climatique, ce qui devrait davantage attirer notre attention est le Plan stratégique 2020-2030 publié la même semaine, en toute discrétion, sans trompette ni communiqué de presse. En cachette, quoi.

« Montréal 2030 » annonce pourtant la posture générale de la Ville de Montréal pour les 10 prochaines années. Quatre orientations, puis 20 priorités qui en découlent. Un document succinct et bien monté dont le principal mérite est d’être clair.

Sans surprise, l’environnement et la lutte contre les changements climatiques en constituent la pierre d’assise, alors que la question de l’équité et l’inclusion est très présente, notamment par une volonté de lutter contre le racisme et la discrimination systémiques. Bravo, il était temps. On parle également de participation citoyenne puis, finalement, de l’importance de stimuler l’innovation et la créativité. Encore bravo. 

Mais voilà, en lisant le document, on a l’étrange impression qu’on a sauté une étape.

Vivement que la Ville de Montréal se projette, par exemple, comme un « catalyseur de collaborations entre différents acteurs de l’écosystème innovant et créatif », mais encore faudrait-il que les différentes entités de la Ville commencent par collaborer entre elles !

Une anecdote très récente à cet égard. Un ami qui habite face au parc La Fontaine, dans l’arrondissement du Plateau, s’est réveillé sans eau un jeudi matin de novembre, une situation qui a duré trois jours. Alors que, sans surprise, le 311 ne savait rien et n’était pas en mesure de l’aider, il a fini par apprendre que l’eau avait été coupée pour le compte de l’arrondissement voisin, Ville-Marie, qui, parce que les citoyens touchés n’étaient pas sur son territoire, n’a pas cru pertinent d’envoyer une notice pour les prévenir ni d’ailleurs d’inscrire l’intervention au registre qui aurait permis au 311 de faire son travail. « Catalyseur de collaborations » ! ? ! ?

Même chose pour la coordination des travaux qui entravent le domaine public. Oui, la mobilité est abordée dans le plan. Mais sans surprise, c’est sous l’angle de la lutte contre les changements climatiques. Vivement l’électrification des transports et la décarbonisation de notre économie. Mais une autre priorité, qui est celle d’arrêter d’ouvrir, de rouvrir, et de ré-ré-ré-ouvrir toujours et encore les mêmes rues, sans aucune coordination d’ensemble ou souci pour la qualité des interventions, et qui pourrit l’expérience montréalaise, aurait dû figurer dans un tel document. La mairie, qui se réfugie dans la nouvelle ligne qu’elle ne contrôle que le quart des chantiers, abdique, du coup, son rôle de leader. 

Aussi, aucune occurrence, dans le document de 72 pages, des mots « coordination », « contrôle » ou « rigueur ». Une seule fois, on parle « d’efficacité » puis de « productivité », mais c’est en référence à l’environnement.

En somme, pas une seule fois on ne se regarde dans le miroir pour se demander comment on pourrait mieux faire les choses, comme si ces questions trop pratico-pratiques, mais pourtant critiques et obligatoires, allaient nous obliger à descendre du monde des Calinours dans lequel la mairie s’est réfugiée.

Transformer la « Ville de Montréal » est pourtant un passage obligé pour pouvoir prétendre à « transformer Montréal ».

Un autre élément dérangeant du Plan stratégique est cette volonté affichée d’une relance « sans compromis ». Pour certains élus, les compromis sont gages de médiocrité. Les compromis « compromettent » la réalisation de leur vision, vision qu’on ne doit surtout pas édulcorer puisque la vérité divine leur a été révélée. Pour d’autres, prendre le temps d’écouter les voix divergentes, même si ce sont celles des « pleureuses », comme nos Khmers verts les appellent, permet de trouver des voies de passage et, ultimement, de bâtir des consensus du décupleront l’action publique. Manifestement, ce n’est pas la voie choisie par la mairie dans son plan stratégique.

OCCASION MANQUÉE

Et parlant d’occasion manquée, une dernière question troublante est celle du français et de son avenir. On connaissait le malaise de la mairesse Valérie Plante sur cette question de la langue. Mais alors qu’il se dégage un consensus pan-national sur l’importance de promouvoir l’avenir du français au Québec, au point où même le Parti vert, dont le député le plus près est à 800 km de Montréal, s’inquiète de la question, se limiter à la banalité que Montréal est la « métropole francophone des Amériques » sans y attacher aucune action concrète laisse songeur.

Enlevez le français et Montréal deviendra une ville ordinaire parmi les 40 grandes villes d’Amérique du Nord. Cette perspective, inquiétante et réelle, doit tous nous interpeller, y compris nos concitoyens anglophones qui ont appris à aimer ce trait distinctif de la métropole. Aussi, avoir une langue commune forte est un ingrédient nécessaire à la cohésion sociale puis à notre capacité à mieux intégrer les personnes immigrantes qui ont fait le choix de venir vivre chez nous, désormais chez eux. La passivité de la mairie sur cet enjeu pourtant critique signale qu’encore une fois, nous serons témoins plutôt qu’acteurs d’un enjeu qui, pourtant, nous interpelle au premier chef.

Ce texte a été publié dans La Presse+

Félix-Antoine Joli-Coeur