La logique parallèle de la construction
ÉLECTIONS FÉDÉRALES
LA BANQUE D’INFRASTRUCTURE DU CANADA
Des quelques mesures économiques déployées dans le premier mandat du gouvernement de Justin Trudeau, la création de la Banque des infrastructures du Canada (BIC) est assurément l’une des plus porteuses.
Cette nouvelle société d’État cherche à attirer l’investissement privé pour les projets d’infrastructures publiques. Cela, en participant au financement des projets dont le potentiel de revenu est suffisant pour attirer l’attention des investisseurs, mais trop limité pour ne s’en remettre qu’à eux.
Alors que ce sont ses engagements, par exemple pour le REM ou le Terminal portuaire à Contrecoeur, qui attirent jusqu’ici l’attention sur le travail de la BIC, sa mission première, soit de « transformer la façon dont les infrastructures sont planifiées, financées et mises en place », devrait également intéresser les partis qui se disputent le vote des Canadiens, la campagne électorale étant pratiquement à court d’idées structurantes pour l’économie.
Disons-le sans détour : le secteur de la construction, et la lenteur avec laquelle il se modernise, est aujourd’hui l’un des principaux freins à l’avancement de notre société.
Car entre aujourd’hui et l’aménagement durable de nos communautés, il y a ces travaux hors de prix, interminables et souvent bâclés, qui transforment nos rêves de trottoirs chauffants, d’écoles inspirantes ou de tramway en utopie inatteignable.
Par exemple, dans quel autre secteur que celui de la construction pourrait-on déclarer qu’à cause de la « surchauffe du marché », les prix explosent ?
Les règles intrinsèques de l’économie font en sorte que lorsque la demande augmente, le marché s’ajuste. Une demande accrue fera donc augmenter les prix à court terme, ce qui se traduira par de meilleures marges de profit. Sentant la bonne affaire, de nouveaux acteurs arriveront sur le marché, ce qui augmentera l’offre et rétablira l’équilibre des prix.
En parallèle, des acteurs investiront dans des solutions qui augmentent leur productivité pour protéger ou augmenter leurs parts de marché, ce qui se traduit souvent par une baisse des prix. C’est ce qu’on a vu pour le transport aérien, les ordinateurs ou les technologies vertes, dont le coût, pour un produit équivalent, n’a cessé de diminuer ces dernières années.
Largement protégé de la concurrence internationale, et même de la concurrence interprovinciale, fermé par des systèmes de permis restrictifs – par exemple les fameuses « cartes de compétence » au Québec – et rébarbatif à l’investissement dans les technologies, le secteur de la construction fait fi de cette logique.
Le fait qu’en 2019, on ait encore recours à des humains comme signaleurs de chantier alors qu’ailleurs, on utilise systématiquement des feux de circulation temporaires pour régenter la circulation démontre l’archaïsme de nos pratiques.
Et que dire du fait que lorsqu’il y a tempête de neige à Montréal, on déploie une armée de cols bleus pour accrocher des panneaux de signalisation interdisant temporairement le stationnement, alors qu’un système de signalétique déclenché à distance se révélerait à la fois plus efficace, plus environnemental et plus économique. Joseph Facal, ex-ministre du gouvernement de Lucien Bouchard et chroniqueur au Journal de Montréal, dit de la pénurie de main-d’œuvre qu’il s’agit « d’un grand mensonge ». À eux seuls, ces deux exemples lui donnent raison.
Alors que le gouvernement du Québec s’est assuré, ces dernières années, d’utiliser son pouvoir d’achat pour faire la promotion de la médiocrité par sa règle du plus bas soumissionnaire, qui donne les contrats publics aux constructeurs les plus cheaps plutôt qu’aux meilleurs, et alors que les grandes villes comme Montréal ont abandonné jusqu’à l’idée de planifier les travaux publics sur leur territoire, la Banque de l’infrastructure du Canada pourrait être le déclencheur d’une révolution dans le secteur, notamment par un échange des meilleures pratiques.
Cela trouverait particulièrement écho dans le Grand Montréal, dont l’économie souffre d’un retard marqué de productivité. Dans le « tableau de bord » commandé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et par Montréal International à l’Institut du Québec, on se félicite en effet de la bonne performance économique de la métropole, mais on avertit que l’absence d’amélioration de la productivité est l’un des principaux boulets de notre économie.
Or, la productivité étant largement déterminée par le niveau de formation des employés, d’une part, et les investissements dans les technologies, d’autre part, cela fait du secteur de la construction, qui accuse un retard majeur sur ces deux fronts, le secteur idéal pour attaquer le problème. En d’autres termes, la modernisation de nos pratiques dans la conception, la livraison et l’entretien des infrastructures pourrait être le déclencheur qui permettrait à Montréal de corriger son retard de productivité.
Ce texte a été publié dans La Presse+