La culture : outil de diplomatie
Les arts et la culture sont des vecteurs d’influence qui servent les objectifs stratégiques de nos réseaux diplomatiques.
À chaque concert de l’Orchestre symphonique de Montréal en Europe défilent gens d’influence et investisseurs potentiels, le tout orchestré par les réseaux diplomatiques canadiens traditionnels. Signe que la diplomatie de l’influence est plus que jamais à l’avant-scène.
Le 22 février dernier, l’entrepreneur britannique Richard Branson réunissait 35 vedettes de la musique latine lors d’un concert à Cúcuta, ville à la frontière de la Colombie et du Venezuela. L’initiative, qui visait à mobiliser l’opinion publique dans le but de provoquer le départ du président vénézuélien Nicolás Maduro, n’était pas sans rappeler les concerts de David Bowie ou de Bruce Springsteen organisés durant la guerre froide face au mur de Berlin.
Surtout, elle venait une nouvelle fois confirmer la montée en puissance de la diplomatie de l’influence, à l’heure où la société civile et son soft powerne cessent de gagner du terrain. Bien loin des salons feutrés où se rencontrent traditionnellement chefs d’État et conseillers diplomatiques.
« La culture est un vecteur d’influence qui sert nos objectifs stratégiques. Elle permet notamment de créer un environnement où il est possible d’aborder les questions délicates, par exemple l’immigration, un sujet important qui peut diviser », explique Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France, rencontrée dans le cadre de la dernière tournée européenne de l’Orchestre symphonique de Montréal*.
Son collègue en poste à Berlin, Stéphane Dion, va plus loin en affirmant qu’en Europe et en Allemagne tout particulièrement, « vous n’existez pas si vous ne jouez pas la corde de la culture ». Aussi, non seulement la présence d’artistes canadiens à l’étranger contribue à la notoriété du pays, mais l’excellence des prestations de ces artistes envoie un signal de qualité qui dépasse la sphère culturelle. « Pour les Allemands, si votre pays est capable de leur offrir parmi les meilleurs interprètes du grand répertoire de la musique classique, c’est un signe que vous pouvez aussi leur fournir parmi les meilleurs partenaires en affaires, les meilleurs ingénieurs et les meilleurs scientifiques. »
Même son de cloche pour la déléguée générale du Québec à Munich, Marie-Ève Jean. « Il faut véhiculer des éléments identitaires afin de se démarquer sur la scène internationale, de façon à ce que notre personnalité complète nos objectifs économiques et politiques. Cela nous confère un avantage concurrentiel tangible en Allemagne, un marché de plus de 80 millions d’habitants convoité par tous. »
En matière d’instrument de diplomatie, la tournée de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) constitue un événement de premier choix. À chaque concert défilent gens d’influence et investisseurs potentiels, le tout orchestré par les réseaux diplomatiques canadiens « traditionnels ».
Pour Line Beauchamp, déléguée générale du Québec à Paris, l’OSM est une institution culturelle connue et appréciée en Europe. « Envoyer une invitation officielle de la délégation générale du Québec pour le concert de l’OSM à la Philharmonie de Paris envoie le signal que le Québec est un peuple déterminé et mûr. C’est un signal très fort, et très positif. »
Pour préparer une telle visite, elle a d’ailleurs mobilisé l’ensemble des services de la délégation générale. « Un salon de l’auto attire des gens d’un secteur très précis. Un concert, par contre, attire tant nos cibles d’affaires, le monde politique ou des influenceurs que nous souhaitons charmer. C’est pourquoi j’ai demandé à chacune de mes directions d’utiliser l’occasion pour faire avancer leurs dossiers. »
Michel Audet, ancien sous-ministre à Québec, rappelle que le rayonnement de la culture à l’étranger fait partie de l’histoire des relations internationales du Québec. « Les liens culturels entre la Belgique et le Québec datent de longtemps et la Belgique a souvent été une plateforme pour nos artistes qui voulaient sortir des frontières. »
Il donne l’exemple de Marie-Nicole Lemieux, contralto originaire du Lac-Saint-Jean et dont la carrière internationale a été lancée lorsqu’elle a gagné le premier prix du Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique. « Cette année, ce sont plus de 350 événements culturels qui mettront en vedette des artistes québécois en Belgique. C’est majeur comme présence », de conclure le délégué général, qui note un niveau d’engagement similaire dans les autres antennes de la diplomatie québécoise.
L’enjeu de taille pour la diplomatie culturelle est de quantifier son effet, rappelle toutefois Isabelle Hudon. « On voit plusieurs pays faire des investissements majeurs pour le rayonnement de leur culture, qui vont du déploiement d’un réseau comme celui de l’Alliance française ou de l’appui financier à leurs institutions culturelles pour qu’elles exportent leur art ou accueillent des compagnies étrangères. Mais il est très difficile de mesurer les répercussions exactes de ces investissements. Une chose est sûre, cependant, la diplomatie culturelle contribue à la notoriété de notre pays, à charmer puis à convaincre les investisseurs potentiels. »
* Félix-Antoine Joli-Cœur était l’invité de l’Orchestre symphonique de Montréal
Ce texte a été publié dans L’actualité